Bonhomme (Marion Vernoux, 2018)
Piotr est victime d'un choc frontal lors d'un accident de la circulation. S'ensuit une perte générale de son intellect. Après un coma suivi d'un traitement en milieu médicalisé, il va devoir se reconstruire au quotidien, entre les tentatives de re-mémorisation du passé et les nouveaux acquis qui constituent le processus d'une renaissance quasi complète. Le chemin pour y parvenir est semé d'embûches et de succès, d'espoirs et de désillusions, de joies mais aussi de peines assumées par sa partenaire Marilyn, qui lui voue un amour intact et qui ne connaît ni résignation ni abandon.
Pays de production: France
Présentation du/des personnage(s) déficient(s)
Piotr, 33 ans, jeune homme charismatique qui aime faire la fête et profiter pleinement de la vie, est victime d’un choc frontal qui atteint ses capacités cognitives. Il perd une grande partie de ses capacités intellectuelles et langagières, de mémoire, d’autorégulation émotionnelle, et éprouve des difficultés à maitriser ses impulsions. Son indépendance est donc limitée, et il a besoin d’une assistance continue. Son choc frontal influence également sa libido.
Regard porté sur la déficience
Bonhomme suit Piotr et sa conjointe Marilyn, un couple dans la trentaine qui doit faire face aux nombreuses difficultés liées à la réadaptation de Piotr après son accident. Le film souligne les lacunes du système médico-social, critiquant particulièrement l’inaccessibilité des services et le manque d’assistance financière pour les personnes sans couverture sociale. Avant l’accident, Piotr et Marilyn effectuaient des petits boulots en plus de leur emploi à temps plein dans un grand magasin de sport, arrivant à peine à joindre les deux bouts. Après l’accident, Marilyn s’efforce dans un premier temps de s’occuper seule de Piotr, mais sans revenus ni assistance à domicile elle doit retourner au travail, et demande l’aide de ses voisins et de ses amis pour surveiller Piotr, qui ne peut pas rester seul. La nature ‘écrasante’ du système médico-social est particulièrement mise en avant lorsque Piotr est déchargé de l’hôpital et que Marilyn doit régler la facture, ni elle ni Piotr n’étant couverts par une assurance malgré leurs multiples emplois. Puis, lorsque Marilyn se bat pour que les soins rééducatifs de Piotr soient pris en charge - seulement trois jours de rééducation à l’hôpital - par l’assurance, ils ne reçoivent que 10% (48,000 euros) de la somme globale des indemnités. Le film offre une critique du système médico-social français, présenté comme irréaliste dans son estimation des coûts humains et financiers pour ce qui est de la rééducation d’une personne devenue déficiente à la suite d’un accident. De plus, à la fin du film, Piotr est envoyé vivre chez sa mère et mis « sous castration médicamenteuse » afin de contrôler sa libido. Ce traitement le rend léthargique et le déshumanise en le privant de son autodétermination. Les juristes qui supervisent cette décision décrivent Piotr avec des propos déshumanisants, justifiant leur décision en disant : « ça dépend ce qu’on veut : un légume ou une bestiole ». Il ressort d’un tel discours que le personnage est entièrement défini par sa déficience, cette dernière faisant de lui quelqu’un de supposément ‘inférieur’ ou 'différent'.
Bonhomme adopte une approche spécifique quant à la déficience de Piotr et sensibilise le public à ses difficultés ainsi qu’à ses émotions qu’il a parfois du mal à exprimer et à réguler à cause de ses lésions cérébrales. Le film explicite dès le début que la déficience de Piotr constitue un frein à son indépendance (« il va avoir besoin d’une présence continue et quotidienne »). Cependant, cette dépendance n’est pas représentée comme une marque d’altérité ou d’infériorité. Le film met en images le quotidien du couple avant l’accident : leur relation turbulente et passionnée, leurs horaires de travail à rallonge, leur cercle d’amis, le charisme de Piotr. Après l’accident, Piotr est désorienté, tant sur le plan géographique (ni son appartement ni son quartier ne lui sont familiers) que personnel. Par exemple, lorsqu’il sort au restaurant avec ses amis et Marilyn, il éprouve de la frustration de ne plus être capable de comprendre les blagues intimes et de ne plus trouver sa place au sein du groupe. Il a également des difficultés à adapter son comportement aux différentes situations sociales, comme lorsqu’il dit à une cliente dans un magasin qu’elle « pue », ou bien lorsqu’il demande à Marilyn si elle pleure, alors qu’elle est en larmes. De plus, Piotr n’est pas pleinement conscient de sa déficience, proclamant à ses amis : « J’suis pas handicapé moi, ça va pas la tête ?! ».
Piotr rencontre des difficultés intellectuelles, émotionnelles, et cognitives après l’accident, notamment une perte de la mémoire à court et à long terme. Il oublie des moments clés qu’il a partagé avec Marilyn, ne se rappelle plus où habite son frère, ni la date de naissance de sa mère. Il a aussi parfois des accès de colère violents que le film explique comme étant le résultat d’un sentiment d’impuissance que Piotr éprouve du fait de ses problèmes cognitifs qui l’empêchent de réguler ses émotions et ses impulsions. Sa violence n’est donc pas stigmatisée, ce qui sensibilise le public à la manière dont Piotr fait l’expérience intime de sa déficience.
Le film met également en scène la rééducation de Piotr, Marilyn développant des astuces et des méthodes pour s’adapter seule à la déficience intellectuelle de Piotr et pour l’aider à s’acclimater à son environnement avec lequel il n’est plus familier. Elle utilise notamment des post-it qu’elle colle tout autour de leur appartement pour l’aider à se repérer, afin qu’il puisse participer à leur vie domestique (comme « sortir poubelles »), ou pour qu’il ne se blesse pas (« éteindre le four »). Cela l’autonomise tout en prenant en compte ses difficultés, et s’éloigne d’une représentation qui ferait de l’individu déficient un pur ‘objet’ de soin. Par ailleurs, la rééducation n’est pas représentée comme une tentative de « remédier » à la déficience intellectuelle de Piotr, mais comme un ensemble d’astuces et de méthodes que Marilyn développe peu à peu afin de rendre leur quotidien plus agréable. Marilyn encourage son autonomisation tout en étant à ses côtés. Dans une scène, Marilyn lui demande de les ramener à la maison depuis le supermarché, l’encourageant ainsi à développer son sens de l’orientation et sa mémoire tout en l’accompagnant afin qu’il ne se perde pas.
Piotr n’est cependant pas entièrement défini par sa déficience, sa perception de soi et sa relation avec Marilyn ne semblant pas être grandement influencés par sa déficience. Par exemple, son accident n’entame pas la confiance de Piotr dans son physique (il s’admire dans le miroir à plusieurs reprises), ni son amour pour Marilyn. Il passe également des moments avec leur voisine et ses jeunes enfants et sort régulièrement le soir avec ses amis. Son inclusion au sein de son cercle d’amis et la familiarité de sa routine, avant comme après l’accident, ont pour effet de normaliser son existence à l’écran. Une scène en particulier illustre cela : Marilyn et Piotr regardent une émission de cuisine à la télé, activité qu’ils faisaient régulièrement avant son accident, et Piotr imite un chef de cuisine prétentieux dans l’émission. Avant son accident, Piotr était vif d’esprit et lui et Marilyn plaisantaient souvent ensemble, complicité qui a disparu à la suite de l’accident du fait de ses capacités cognitives amoindries ainsi que de ses difficultés à s’exprimer. On retrouve ce trait de personnalité dans cette scène, ce qui évite au film de sursignifier la déficience du personnage, où celle-ci serait perçue comme constituant une transformation totale de sa personnalité. Marilyn effectue quant à elle des recherches sur la déficience de Piotr et assiste à des conférences sur les déficits neurologiques afin de l’aider au mieux, soulignant l’importance des proches dans une relation d’assistance pour les personnes déficientes.
De plus, Bonhomme offre une représentation juste de ce que Piotr est capable de faire et ce qu’il n’est plus capable de faire après son accident. Lorsque Marilyn doit retourner au travail, elle laisse Piotr au salon d’esthétique de sa mère, car il ne peut pas être entièrement autonome ni seul. La mère de Marilyn lui donne un travail adapté à ses compétences et lui fournit des instructions claires et simples, suivant ainsi les recommandations des médecins (« évitez les doubles consignes, ça va le mélanger »). Piotr n’est donc pas présenté comme incapable du fait de sa déficience, et le public est témoin de ses capacités à suivre des instructions ainsi que du développement de sa mémoire à court-terme. Lorsque la mère de Marilyn lui demande « les yeux tu les mets où ? » (il a tendance à fixer les corps des clientes de façon inappropriée), il se rappelle « au sol » et baisse les yeux. De plus, la mère de Marilyn valorise ouvertement son aide afin de lui donner confiance, et le film dans son ensemble promeut l’idée d’une société qui laisse chaque personne déficiente participer « à son rythme » en fonction de ses propres capacités et forces.
À la fin de Bonhomme, la Cour chargée d’évaluer les besoins de Piotr lui accorde le choix de vivre avec sa mère ou bien de rester avec Marilyn. Cette fin optimiste valorise le point de vue et l’autodétermination du personnage déficient, tout en cherchant à promouvoir une vision plus équitable de la société.