Au revoir là-haut (Albert Dupontel, 2017)

Résumé du film

En novembre 1918, quelques jours avant l'Armistice, Albert Maillard sauve la vie d’Édouard Péricourt. Les deux hommes n'ont en commun que la guerre. Le lieutenant Pradelle, en ordonnant un assaut insensé, détruit leurs vies tout en les liant comme compagnons d'infortune. Sur les ruines du carnage de la Première Guerre Mondiale, condamnés à vivre, les deux hommes tentent de survivre. Alors que Pradelle s'apprête à faire fortune avec les cadavres des victimes de la guerre, Albert et Edouard montent une arnaque monumentale à la commémoration des familles endeuillées et au culte des héros d'une nation[1].

[1] Palanchini, Coretin (26 January 2016). "Albert Dupontel réalisera Au revoir là-haut avec Laurent Lafitte et Niels Arestrup"AlloCiné. Webedia. Retrieved 1 April 2016.

Pays de production: France

Au revoir là haut affiche

 

Type de déficience
Date de sortie
2017-10-25
Genre cinématographique
Principal ou Second Rôle
Principal
Analyse

Présentation du/des personnage(s) déficient(s)
Édouard Péricourt, fils de la haute bourgeoisie et dessinateur fantasque rejeté par son père, est défiguré au bas du visage par un éclat d’obus sur le champ de bataille à la fin de la Première Guerre Mondiale, faisant de lui une « gueule cassée ». Le terme désigne les survivants de la Première Guerre Mondiale ayant subi une ou plusieurs blessures au combat et étant affectés par des séquelles physiques graves, notamment au niveau du visage.
 
Regard porté sur la déficience
Au revoir là-haut raconte l’histoire de deux anciens soldats qui font de leur mieux pour refaire leur vie après la Première Guerre Mondiale. Le film se concentre sur la relation entre Édouard, « gueule cassée », et Albert, ancien comptable. Le récit en lumière la manière dont la guerre a bouleversé la vie des deux hommes et les a traumatisés à jamais : Édouard est déprimé et vit dans la douleur chronique, et Albert est désabusé face à l’ingratitude de l’État pour ses hommes qui ont combattu. Le film explore la déficience physique d’Édouard et son impact profond sur sa santé mentale. Le film se situe dans un contexte historique spécifique et explore la manière dont Édouard doit adapter sa vie à sa déficience, sans établir de constats généralisants sur tous les infirmes de guerre ou toutes les personnes ayant subi un accident traumatique. De plus, Au revoir là-haut se fait l’illustration des progrès médicaux de l’époque en termes de prise en charge du handicap, tels que la création d’unités de chirurgie maxillo-faciale. Le récit illustre également le début d’une prise de conscience des effets psychologiques de la guerre sur les personnes ayant combattu.
Le film explore en effet l'impact de la guerre sur les individus ayant combattu, tant sur un plan psychologique que physique, notamment lorsqu’Édouard se réveille à l’hôpital après la bataille. Dans cette scène, le public est sensibilisé à son traumatisme et à l’horreur qu’il ressent face au fait d’avoir perdu le bas de son visage, créant ainsi une forte proximité entre le/la spectat.eur.rice et le personnage lorsque ce dernier contemple son reflet et aperçoit un trou ensanglanté à la place de sa bouche. Édouard pousse des cris de douleur étouffés, ne pouvant verbaliser ses émotions à cause de sa blessure béante. Il doit également être nourri par l’intermédiaire d’une sonde en caoutchouc logée dans sa gorge. Le film dénonce les horreurs de la guerre, mais met également en images les traitements et les prothèses révolutionnaires conçues pour les « gueules cassées ». Au début de l’histoire, Édouard est transféré dans un « hôpital spécialisé à Paris où ils vont te mettre des prothèses », et Albert commente qu’« apparemment on voit quasiment plus rien [avec les prothèses.] » Une scène en particulier met en images les différentes prothèses faciales développées à l’époque, certaines étant fabriquées en cuir, d’autres en papier mâché ou en porcelaine. Ces prothèses permettent à Edouard de se sentir moins « différent », puis, plus tard, de s’exprimer artistiquement. La charge prise par Albert est également mise en lumière, non seulement sur un plan matériel, à travers les différents emplois qu'il occupe pour subvenir à ses besoins et à ceux d'Édouard, mais aussi psychologique, lorsqu’il doit mentir à la ‘veuve’ d’Édouard, qui exige qu’Albert lui raconte ses souvenirs de guerre et d’Édouard. Face à cette confrontation, Albert éclate en sanglots lors d’un diner en présence de la famille d’Édouard. Le traumatisme psychologique de la guerre et l’absence de services sociaux et d’assistance à la santé mentale des vétérans sont ainsi implicitement critiqués au cours du film.
Édouard n’est cependant pas entièrement défini par sa déficience en ce qu’elle ne constitue pas son unique caractéristique, tant sur le visuel que verbal, et ce malgré ses difficultés à s’exprimer du fait du traumatisme permanent à son visage. Premièrement, la ‘défiguration’ d’Édouard n’est jamais dévoilée de manière frontale ; il se regarde tout d'abord dans une surface réfléchissante à l’hôpital, puis il porte ensuite un linge qui couvre le bas de son visage. Refusant de porter les prothèses qui lui sont proposées par les médecins, Édouard – dessinateur de talent – choisit par la suite de se confectionner une série de masques plus extravagants les uns que les autres afin de dissimuler sa blessure. Sa première création est une reproduction simpliste de lèvres, d’un menton, et de sa moustache, cousus sur un linge. Puis, étant confiné dans l’appartement, ses créations lui offrent une forme de catharsis et un passe-temps : il créé des masques qui mettent en avant son individualité et ses compétences artistiques, lui permettant de retrouver - en partie - l’identité que la guerre lui a volée. La mise en scène souligne la précision de ses mouvements, sa dextérité, ainsi que le processus long et complexe de création. Il créé, entre autres, un masque absurde en forme d’urinoir, un masque loufoque empruntant à la commedia dell’ arte, un masque de lion fait avec des billet de banque, ou encore une réplique impressionnante en taille réelle d’une tête de cheval. À travers ce processus de création, le film laisse également brièvement transparaître le sentiment de perte d’identité qu’Édouard ressent suite à sa blessure, puisqu’il a créé une réplique à l’identique de son visage avant l’accident.
L’Édouard ‘d’avant’ et celui ‘d’après’ sa défiguration sont similaires dans leurs tempéraments, le film échappant ainsi à une représentation dichotomique déficience/validité. Édouard a toujours été un artiste talentueux et vif d’esprit. Avant sa défiguration, il dessinait des caricatures de son Commandant pour remonter le moral des autres soldats dans les tranchées. Après son retour de la guerre, les masques créés par Édouard dévoilent un même tempérament facétieux, comme celui représentant un vieux professeur aux cheveux blancs en bataille, des lunettes rondes et la langue tirée. La déficience est alors présentée comme une caractéristique du personnage qui influence directement son inspiration artistique ainsi que son quotidien mais qui ne le définit pas intégralement. De plus, certains masques évoquent la déficience d’Édouard et la manière dont il s’y adapte, comme lorsqu’il fume et qu’une bouffée de fumée s’échappe de la narine sculptée dans le masque. Un autre masque, plus rudimentaire, permet à Édouard d’exprimer son accord ou son désaccord, grâce à une bouche mobile en feutre qu’il fait pivoter de haut (la joie) en bas (la tristesse). Les masques sont souvent comiques, ce qui apporte une forme de légèreté à la déficience d’Édouard, s’éloignant ainsi d’une représentation entièrement pessimiste ou dramatique. Ce qui a commencé comme une tentative de créer une prothèse afin de dissimuler son visage en partie défiguré devient un projet artistique à travers lequel Édouard exprime son individualité.
En outre, la multiplicité des masques créés par Édouard souligne l’importance de l’autodétermination, de l’individualité et de l’identité de chaque prothèse, au-delà de l’aspect pratique qui consiste à les fabriquer sur mesure. Les prothèses restaurent l’humanité d’Édouard; elles ne sont pas présentées comme une tentative de la part du personnage de ‘dissimuler’ ou de ‘corriger’ sa déficience mais plutôt comme un choix conscient qui promeut son autodétermination. Par ce geste duel de monstration/dissimulation qui caractérise les masques créés par Édouard, le personnage interroge certains des fondements à la base du langage sur le handicap qui prend ses racines dans la France des années 1920, à savoir l’effacement de la différence et la volonté de réadaptation de l’individu. 
Un autre aspect à considérer est que les difficultés langagières d’Édouard à la suite de son accident (il ne s’exprime qu’avec des gémissements et des gestes) ne sont jamais présentées comme un frein. Après quelques mois, Albert, et Louise (la jeune orpheline qui vit avec eux et qui tient compagnie à Édouard pendant qu’Albert est au travail) comprennent parfaitement Édouard et partagent de nombreuses conversations avec lui.
Le film est plus limité quant à sa représentation du quotidien d’Édouard, en ce que le public ne peut se faire une idée précise de la manière dont sa déficience influence sa routine (on ne le voit jamais manger ni se laver, par exemple).