Se souvenir des belles choses (Zabou Breitman, 2002)
Claire Poussin est une jeune femme discrète de 32 ans qui souffre de troubles de la mémoire depuis qu’elle a – suppose-t-on – reçu la foudre lors d’une promenade en forêt. Sa sœur, plus inquiète qu’il n’y paraît, décide de la conduire au centre de mémoire « Les Écureuils », où leur mère est décédée des suites de la maladie d'Alzheimer cinq ans auparavant. La jeune femme y rencontre quelques personnes farfelues et un homme d’une quarantaine d’années, Philippe, qui a perdu sa femme et son fils dans un accident de voiture et n’en garde ni souvenir, ni douleur. Claire commence à revivre. Avec Philippe, elle va vivre une belle histoire d'amour (Wikipédia).
Pays de production: France
Présentation du/des personnage(s) déficient(s)
Après avoir été retrouvée évanouie en forêt, Claire est évaluée au centre de rééducation. Elle rencontre Philippe, qui souffre vraisemblablement de trouble de stress post-traumatique, faisant des crises violentes la nuit. Avec le temps, les capacités cognitives de Claire se détériorent, particulièrement celles liées à la mémoire et au langage, et on lui diagnostique un début d’Alzheimer.
D’autres personnages au centre de rééducation reçoivent un traitement pour des troubles cognitifs et psychiatriques non spécifiés.
Regard porté sur la déficience
Se souvenir des belles choses explore la progression de la maladie d’Alzheimer chez Claire et, au cours du film, le public est sensibilisé aux conséquences de cette maladie sur les capacités cognitives et langagières de la jeune femme, ainsi que son impact émotionnel sur cette dernière. Au début du film, ses problèmes de mémoire et de langage sont moins évidents, ses difficultés étant principalement liées à la concentration et à une limitation du vocabulaire. Claire se rappelle du nom de l’infirmière de sa mère, sa sœur lui faisant la remarque : « T’as vraiment la mémoire des noms, toi ». Cependant, un mois après son admission: « Claire [perd] en fluidité, elle abuse de plus en plus de mots simples, elle a plus tendance aux jargons, tout paraît beaucoup plus laborieux. » Sa concentration et sa mémoire se détériorent également, comme lorsque Claire veut se rendre au centre pendant la nuit et que sa mère doit lui rappeler qu’il est trop tard. Le film met en scène la détérioration progressive mais rapide de ses fonctions neurologiques : en conversation avec le professeur Licht (un médecin au centre) elle a du mal à verbaliser, parlant lentement et avec difficulté, elle bégaie et utilise les mauvais mots (« j’ai des problèmes de sérum », avant de se corriger et de dire, « de cerveau »). Son sens de l'orientation se détériore également, ce qui limite son indépendance puisqu’elle se perd à plusieurs reprises (en faisant des courses, puis lors d’une fête chez un collège). Dans cette dernière scène, les bruits assourdissants autour d’elle, les prises de vues floutées, les bouches de personnes prononçant des mots inintelligibles, et les gros plans sur son visage sensibilisent le public à ses sentiments de désorientation spatiale, de confusion et d’anxiété. Plus tard, lorsque ses capacités cognitives se sont dégradées de façon significative, le film cherche à nous communiquer le ressenti et la perception de Claire, comme lors d'une scène où nous l'entendons s'exprimer parfaitement à l'oral mais, lorsque le récit bascule pour nous faire partager le point de vue de Philippe, nous nous rendons compte de la dissonance entre sa perception de la réalité et celle de Philippe, puisque Claire prononce en fait des mots inintelligibles.
Le film s'attache également à illustrer l’impact émotionnel et physiologique de la maladie d'Alzheimer, Claire faisant des crises de paniques à plusieurs reprises, criant, pleurant, et brisant des objets. Le film met en images les problèmes de mémoire de Claire, rendant ainsi plus tangible l’impact de ses symptômes sur son quotidien et comment ils nuisent à son indépendance. Il faut cependant préciser que sa dépendance croissante envers Philippe au fur et à mesure que la maladie progresse n’est pas représentée comme une marque d’"infériorité" du personnage, mais comme un signe de sa vulnérabilité due à la progression de la maladie d'Alzheimer. Dans une scène où Claire se perd dans la rue, le film cherche par exemple à reproduire à l'image la perception altérée du temps et de l'espace dont elle fait l'expérience, en représentant la manière dont la jeune femme devient éblouie et distraite par les couleurs et les formes des arbres. Le film cherche aussi à représenter l'impact émotionnel lié à la dégradation des processus cognitifs de Claire, comme l'illustre la scène où Claire essaie de faire un gâteau toute seule à l’aide d’une recette. Elle doit relire les instructions plusieurs fois, et prononcer les mots à voix haute avec difficulté, bégayant et ayant du mal à suivre les instructions et à se concentrer. Le degré de dégénérescence de ses capacités cognitives est particulièrement mis en avant dans cette scène, Claire devant compter les trois œufs qui sont devant elle à plusieurs reprises. Lorsque Philippe goûte le gâteau et qu’il est immangeable, Claire se rend compte qu’elle a oublié le beurre et éclate en sanglots, bégayant et ne pouvant plus s'exprimer. Sa motricité fine se détériore également, le carnet dans lequel elle consigne ses impressions permettant au public d'observer la dégradation de son écriture. La représentation de la maladie d’Alzheimer dans le film nous apparaît donc subjective en ce qu'elle montre les impacts de cette maladie sur un individu et la manière dont son quotidien en est affecté, plutôt que de chercher à faire des constats généralisants sur les conséquences de la maladie.
Puisque nous sommes sensibilisé.e.s à la dégradation progressive des capacités cognitives de Claire, ainsi que de ses efforts pour faire face à sa maladie, le film présente les moments plus dramatiques liés à cette maladie dégénérative sans pour autant les stigmatiser. En fondant son récit sur l’histoire d’amour entre Claire et Philippe, qui ont tous deux des problèmes de processus cognitifs, le film cherche à mettre en valeur l'entraide qui unit ces deux personnages, en ce que nous les entendons souvent se répéter (du moins au début) « on va y arriver », s’encourageant mutuellement malgré le fait que la maladie de Claire progresse de manière irréversible. L’environnement au centre de rééducation est également léger et optimiste : les patients pratiquent des activités physiques ensemble comme jouer au foot, ils sont vêtus de leurs propre vêtements, ils vont au musée, etc. Par ailleurs, le film ne base pas sa représentation sur la dichotomie déficience/non déficience : au centre, les tuteurs et thérapeutes sont indiscernables des patients, et ces derniers dînent avec le personnel.
Le film n’écarte pas pour autant les aspects plus difficiles de la maladie d’Alzheimer et du stress post-traumatique. Claire et Philippe expriment tous deux des émotions négatives telles que la colère, le nihilisme, et la tristesse. Durant une séance de thérapie, Philippe se fâche et s'exclame « j’m’en fous! », ne voulant pas parler de sa famille décédée, et il se fâche aussi contre lui-même lorsqu’il n’arrive plus à se rappeler du nom d’un vin. Lorsque Claire apprend son diagnostic, elle pleure et exprime la crainte de « tout oublier » ; Philippe exprime également cette crainte après avoir eu des relations intimes avec Claire pour la première fois. Ainsi, le public est particulièrement sensibilisé aux sentiments d’impuissance, de frustration et d’anxiété qu’éprouve Claire face à la perte progressive de son identité et de ses souvenirs. En thérapie, Philippe verbalise lui aussi cette sensation, disant « J’étouffe, et Claire aussi ». Leurs difficultés ne sont pas stigmatisées, et le film n’offre pas de solutions faciles, souhaitant davantage indiquer comment les personnages sont affectés, chacun à leur manière, par les conséquences des troubles cognitifs dont ils sont atteints.
Se souvenir des belles choses adopte également une approche spécifique dans sa représentation des aménagements et des services mis à la disposition de Claire pour l’aider à palier ses problèmes de mémoire dans son quotidien. Le professeur Licht lui donne un carnet pour qu’elle inscrive « [son] emploi du temps de la journée, [ses] tâches personnelles, etc. », et il ajoute, « moi aussi j’en ai un ». Cet objet, banal mais crucial pour Claire - surtout lorsque ses capacités cognitives vont se dégrader rapidement - matérialise la progression de sa maladie au cours du film, l’écriture de Claire devenant de plus en plus inintelligible avec l’affaiblissement progressif de ses capacités neurologiques et musculaires. L’appartement de Claire et Philippe est également rempli d'objets qui les aident à se repérer : un tableau blanc et des post-its avec une liste détaillée de tâches à accomplir (« épicerie », « prendre la liste des courses »), un autre tableau avec l’horaire de la journée que Claire lit lentement et à voix haute (« préchauffer le four à 17h »), ainsi que plusieurs chronomètres programmés pour lui rappeler de vérifier le tableau lorsqu’elle oublie. Au centre de rééducation, on lui donne un porte-clés rose pour ses clés de chambre, la même couleur de la ligne de couleur sur le mur qui la mène vers sa chambre (chaque couleur mène à un lieu différent dans le centre, dispositif qui facilite l’orientation et l’indépendance des résident.e.s). Afin de respecter la volonté de Claire qui dit pouvoir s’y rendre seule, Philippe lui prépare une carte et lui explique le chemin qui mène à l’hôpital où elle suit sa thérapie, marquant la trajectoire sur la carte. Le professeur Licht lui donne aussi un magnétophone afin qu’elle enregistre sa voix et celle de Philippe pour de ne pas les oublier, dispositif que Philippe utilise afin d’enregistrer des trajets communs (de l’épicerie à leur maison, par exemple) étape par étape, permettant à Claire de faire ces trajets toute seule, ce qui promeut son indépendance. Il y inclut également des messages rassurants, comme « tu aperçois ton très bel [sic] homme, qui t’aime », ajout qui normalise ce dispositif et qui fait sourire Claire. Cependant, le magnétophone se casse lorsque Claire le fait tomber, et elle se perd. Un tel événement nous ramène à la dure réalité de la maladie d’Alzheimer et à l’impuissance de Claire face à sa progression, et ce malgré les tentatives de la jeune femme, de ses médecins et de ses proches.
Dans la dernière scène, Claire ne se rappelle plus qui est Philippe, mais celui-ci la rassure en lui disant qu’il « [sera] toujours là », qu’il est « son bel homme, que tous les deux [ils] s’aiment » et lui promet « [de tout lui] raconter du début. » Le film se termine donc sur une fin triste et réaliste mais non pas défaitiste, l’amour perdurant malgré la maladie.