Intouchables (Olivier Nakache et Éric Toledano, 2011)

Résumé du film

À la suite d’un accident de parapente, Philippe, riche aristocrate, engage comme aide à domicile Driss, un jeune de banlieue tout juste sorti de prison. Ensemble ils vont faire cohabiter Vivaldi et Earth Wind and Fire, le verbe et la vanne, les costumes et les bas de survêtement... Deux univers vont se télescoper, s’apprivoiser, pour donner naissance à une amitié aussi dingue, drôle et forte qu’inattendue, une relation unique qui fera des étincelles et qui les rendra... Intouchables. (AlloCiné)

Pays de production: France

Intouchables affiche
Type de déficience
Date de sortie
2011-09-23
Genre cinématographique
Principal ou Second Rôle
Principal
Analyse

Présentation du/des personnage(s) déficient(s)
Philippe, qui est devenu paraplégique à la suite d’un accident de parapente, est issu d’une longue lignée d’aristocrates. Ayant besoin d’un soignant, il embauche Driss, un jeune issu de la banlieue. Philippe se déplace en fauteuil roulant motorisé car paralysé du cou jusqu’au pieds et il souffre aussi parfois de douleurs fantômes. Au début du film, Philippe est pessimiste et renfermé sur lui-même. Il développe peu à peu un lien fort avec Driss, qui l’aide à retrouver la joie de vivre.

Regard porté sur la déficience
Intouchables, basé sur une histoire vraie, nous présente plusieurs facettes de la vie de Philippe. Du fait de sa condition, Philippe est très dépendant, pour les soins, comme pour les actions du quotidien. Cependant, du fait de son excellente situation financière, il a à sa disposition une technologie adaptée qui lui permet une certaine indépendance : il se déplace avec un fauteuil roulant qu’il guide de la bouche, il peut lire des livres, etc., ainsi qu’un personnel qui gère son manoir et fait en sorte que Philippe n’ait besoin de rien, du moins sur le plan matériel. La représentation de la déficience est équilibrée entre les forces de Philippe (son intellect, son humeur) et la réalité des contraintes liées à sa paraplégie, comme l'absence de vie privée, ou le fait d'avoir besoin d’un soignant pour prendre sa douche. 
Le corps de Philippe est mis en scène de plusieurs manières : parfois du point de vue des personnes non déficientes, en position debout, parfois avec des plans pris à sa hauteur et quelques fois de son point de vue à lui (lorsqu’il lit un livre par exemple).
Lors de leur rencontre, Philippe apprécie la candeur de Driss qui oublie fréquemment sa déficience, contrairement aux autres candidats pour le poste qui sont très axés sur l'aspect "médical" de la paraplégie : quand le téléphone sonne, Driss le tend à Philippe, oubliant que ce dernier ne peut bouger les bras. Driss défie les stéréotypes et contraintes auxquels Philippe s’est résigné : il refuse de le «charger à l’arrière [de la camionnette spécialisée] comme un cheval » et préfère l’installer dans sa Maserati.
Le film nous montre par les images autant que par les dialogues les réalités difficiles d’une atteinte "extrême" à la motricité, tout en mettant également en lumière ce que Philippe peut faire en valorisant l’interdépendance. Intouchables met en images l’étendue du rôle du soignant, car Driss fait en sorte que Philippe puisse mener une vie digne: il s’occupe de ses besoins principaux, le baigne, l’habille, et le film fait preuve de réalisme autant que de respect pour le personnage déficient. Le film ne se limite cependant pas aux aspects "pratiques" de l'existence de la personne déficiente, puisque plusieurs scènes sont centrées autour du divertissement et de l’activité physique, comme lorsque Driss modifie le fauteuil de Philippe pour que celui-ci puisse aller plus vite et pour qu’il puisse s’y accrocher à l’arrière. Dans une autre scène, Philippe emmène Driss faire du parapente. Ce dernier a peur, tandis que Philippe est dans son élément, étant attaché à un instructeur et n’ayant pas besoin d’aménagements particuliers. Ces scènes s’éloignent d’une perception du personnage déficient comme pur objet de soin, et valorisent l’individualité et la relation d’interdépendance entre Philippe et Driss. Ces scènes représentent également la déficience comme l’opposé d’un "manque", soulignant plutôt la nécessité d’aménagements adaptés pour les personnes avec des déficiences. Le chercheur Charles Gardou résume très clairement l’importance de cette problématique lorsqu'il dit: "Il n’est pas assez pour les humains de naître physiquement et de vivre, tant s’en faut. Ils doivent parvenir à exister avec, malgré et parmi les autres" [1].
Le film utilise fréquemment l’humour, l’ironie et le sarcasme afin de représenter la réalité du quotidien pour Philippe. À plusieurs occasions, alors que Driss apprend à prodiguer les soins à Philippe, il se moque - sans méchanceté - des contraintes qui y sont associées : il considère son refus de faire les lavements comme « une question de principe » ; après beaucoup de réticence, il met des bas de contention à Philippe mais ne peut s’empêcher de lui lancer « la jupe, elle est où ? » ; il "teste" l’absence de sensation de Philippe au niveau des jambes en lui versant du thé brûlant dessus ; il lui pose des questions sur sa capacité à avoir des relations intimes. À cet égard, le film tente de dé-stigmatiser des questions encore tabous et personnelles concernant les personnes paraplégiques. Le film met aussi en lumière la manière dont la sexualité de Philippe s’est "adaptée" ou s’est transformée du fait de sa déficience, donnant ainsi un aperçu sur son vécu sensoriel, tant sur le plan psychique que physique, comme lorsque Philippe lui révèle ses zones érogènes. Driss s’informe sur cette partie taboue de la déficience, souvent négligée au cinéma. De fait, au lieu d’éviter de parler de sa déficience, ou de la percevoir seulement à travers le prisme médical, Driss la considère simplement comme une autre manière d’être, sur laquelle il peut taquiner Philippe - au même titre que d’autres caractéristiques physiques (comme lorsqu’il refuse de donner du chocolat à Philippe (« pas de bras, pas de chocolat ! »). À ce titre, la déficience est donc normalisée.
Au-delà de l’humour, nous observons aussi les difficultés dans la vie de Philippe liées à sa déficience: ses crises la nuit dues aux douleurs fantômes ; la limite des médicaments dans leur capacité à atténuer les souffrances physiques (« Je ne sens rien, mais je souffre quand même ») ; sa dépression latente (lorsque Driss le rase, Philippe lui dit « un petit coup sec ça me soulagerait ») ; et sa souffrance tant physique qu’émotionnelle après le décès de sa femme : pour Philippe, « le vrai handicap, c’est pas d’être en fauteuil roulant, c’est d’être sans elle. » Le film offre donc un aperçu intime quant aux contraintes liées à la paraplégie, et sur l’impact émotionnel et psychologique de cette dernière. Driss y remédie du mieux qu’il peut, comme en augmentant la vitesse du fauteuil roulant de Philippe. Le film priorise donc un point de vue optimiste mais réaliste de la déficience, ne s’attardant pas sur les inconvénients mais dépeignant la réalité parfois dure et complexe de la vie de la personne en situation de handicap.
Le film attribue une grande importance à la relation amicale qui se noue entre Philippe et Driss et qui va bien au-delà du rapport soignant/soigné. Philippe est riche, a tous les soins et les soignants à sa disposition, mais il est malheureux. Lorsqu'au début du film, Philippe fait passer des entretiens avec son assistante Magalie pour embaucher un soignant, les candidats au poste sont mal à l’aise, se réfèrent à Philippe à la troisième personne, et, en réponse à la question « Pourquoi voulez vous cet emploi ? » l’un deux répond même, « j'aime beaucoup les gens diminués ». À ce propos le film met en lumière la fétichisation des personnes déficientes et le rapport malsain que peuvent avoir les soignants avec ceux dont ils sont responsables. Lorsque Driss quitte son emploi pour être avec sa famille et qu’il est remplacé par un "professionnel", l’importance de leur complicité en est amplifiée : le soignant ne s'adresse à Philippe que pour lui parler de médicaments et de thérapie, et lorsque Philippe, qui est déprimé, fait exprès de renverser un bol de soupe sur lui, le soignant s’excuse et fait preuve d'un comportement déshumanisant, car il ne voit que la déficience de Philippe et le perçoit comme "différent".
Les deux hommes s’améliorent au contact l'un de l'autre: Driss s’ouvre à Philippe sur son passé, devient moins agressif, et entretient une amitié avec Yvonne, la chef de maison de Philippe. Grâce à "l’intrusion" de Driss dans sa vie, Philippe renoue progressivement avec son rôle de père, de sportif, et reprend goût à la vie. Le séjour de Driss chez Philippe lui permet de sortir de la spirale de la petite délinquance et l'ouvre à d'autres mondes possibles. À la fin du film, il commente un tableau de Dalí et épate sa conseillère pôle-emploi qui semble le prendre plus au sérieux. Le personnage déficient n’est donc pas seulement représenté comme un pur objet de soin, en ce que les deux personnages s’entraident et le film valorise l’interdépendance comme agent moteur de leur relation.
 

[1] Gardou, Charles. La Société inclusive, parlons-en! Paris: Érès, 2012. p.85