Un homme pressé (Hervé Mimran, 2019)
Alain est un homme d’affaires respecté et un orateur brillant. Il court après le temps. Dans sa vie, il n'y a aucune place pour les loisirs ou la famille. Un jour, il est victime d'un accident cérébral qui le stoppe dans sa course et entraîne chez lui de profonds troubles de la parole et de la mémoire. Bien qu'il essaie de reprendre le travail comme si de rien n'était, Alain a beaucoup de mal à parler de façon cohérente, à se faire comprendre, et à se concentrer. Son entreprise le remplace donc rapidement et Alain se rend compte du temps qu’il a perdu et des gens qu’il a oubliés en courant après le succès (AlloCiné).
Pays de production: France
Présentation du/des personnage(s) déficient(s)
Alain est un homme d’affaire et un orateur qui perd certaines de ses capacités mémorielles et de parole suite à un accident cérébral (AVC). La cuisinière d’Alain est malentendante et porte des appareils auditifs. Nous l’observons d’ailleurs chanter en décalé de quelques secondes avec la radio et comprenons que ses appareils auditifs sont mal réglés.
Regard porté sur la déficience
Un homme pressé nous relate le parcours d’Alain, qui est victime de deux accidents cérébraux successifs causant des séquelles importantes en lien avec la mémoire et la parole. Le scénario relate les deux accidents, avant d’offrir un flashback sur la vie d’Alain avant l’accident et sa réussite professionnelle incontestable, pour revenir ensuite au présent afin d’illustrer le processus de rééducation. Cette structure narrative est simple mais efficace afin de mettre en lumière l’avant et l’après d’une déficience acquise suite à un accident cérébral - plus particulièrement, les difficultés physiques liées à cette déficience - mais aussi pour mettre en regard la différence dans les rapports sociaux qui caractérisent l’"avant" et l’"après" d’un AVC. Cette juxtaposition permet de poser un regard critique sur la manière dont la société traite les personnes avec une déficience, le monde des affaires en particulier, qui déshumanise et délaisse les individus perçus comme "moins productifs" que les valides.
Le film nous place dès la première scène dans la peau d’Alain lors de son premier accident cérébral : nous entendons le son de la radio se brouiller puis se déformer, et nous voyons ensuite, à travers les yeux d’Alain, son réveil en position allongée et sa chute alors qu’il tombe du lit. Une mise en scène similaire a lieu dans la deuxième moitié du film, lorsqu’Alain recommence à parler mais demeure incompréhensible : on le voit se présenter devant un conseiller emploi et on l’entend d’abord relater les grandes lignes de sa vie de manière claire et succincte avant de revenir à la réalité et à la perception de son interlocuteur qui nous fait nous rendre compte qu’Alain n’utilise pas les bons mots et qu’il est intelligible, sans qu’il n’en soit conscient.
Alain devient progressivement plus amical et apprend à connaitre son personnel, il se promène avec son chien dans Paris, s’installe aux terrasses des cafés et discute avec des inconnu.e.s dans la rue. D’un point de vue scénaristique, le contraste entre l’"avant" et l’"après" AVC peut paraître caricatural. Même si le film s'attache à illustrer la rééducation d’Alain, la déficience et les enjeux qui y sont liés ne sont pas explorés de manière approfondie. La déficience est davantage utilisée comme un élément narratif servant à illustrer le cheminement intérieur et la transformation du protagoniste.
De plus, l’amélioration des capacités langagières d’Alain est soudaine et ne nous est pas présentée de manière progressive. En opérant de la sorte, le récit omet tout le long processus nécessaire à une telle amélioration. Bien que le film mette en scène les séquences de ré-apprentissage adapté aux besoins spécifiques d’Alain, ces scènes sont très courtes et l’apprentissage en lui-même est presque toujours relégué au second plan. Les problèmes de mémoire, de langage et de cognition d’Alain apparaissent lors de ces scènes : il ne peut pas réciter une comptine populaire ("Au clair de la lune"), il inverse des lettres dans les mots, disant "cardan" au lieu de "cadran", "béquille" au lieu d’"aiguille", etc. En cela, le film sensibilise le public à l’impact de l’AVC sur ses facultés langagières, sa perception de soi, et son moral, adoptant une approche spécifique de la déficience qui humanise le personnage. Alain est d'autant plus frustré par sa rééducation qu’il ne peut plus s’exprimer comme il le veut et que son identité reposait en grande partie sur son talent d’orateur. Sa déficience représente donc pour lui un bouleversement de son identité, thématique que le film véhicule de façon simple mais efficace dans ces scènes.
Il nous apparaît cependant que le film tend à prioriser les réactions des autres personnages face à la déficience d'Alain, plutôt que l'expérience que ce dernier en fait. Par exemple, lorsqu’il se réveille après son AVC, Alain est inintelligible, enchaînant des mots au hasard de manière incompréhensible. Face à ces propos incohérents, l’infirmière éclate de rire, tandis que la fille d’Alain se met en colère et lui dit, « on comprend rien ! ». Le récit se détourne ainsi du vécu et des émotions d'Alain, qui plus est à un moment crucial puisque nous le voyons pour la première fois après son AVC. En niant la subjectivité de la personne déficiente, le film encourage le public à s’identifier aux réactions des personnages secondaires plutôt qu'au bouleversement intime vécu par Alain. De plus, le film "justifie" le comportement déshumanisant et froid de la part des personnages secondaires comme la conséquence de l'égoïsme d’Alain avant son AVC. Un tel ressort narratif a selon nous pour conséquence de déshumaniser Alain, en ce que le film véhicule le message qu’Alain mérite d’être traité froidement puisqu’il avait l'habitude de faire de même avec les autres. En outre, les réactions de son entourage tendent à marquer la personne déficiente comme irrémédiablement "autre" et "différente", en ce qu'il s'établit une fracture entre la déficience et le monde des valides.
Une seule scène cherche à nous faire partager le point de vue d’Alain, lorsque ce dernier se rend à un entretien d’embauche et que nous le voyons s'exprimer avec éloquence alors qu'il présente son CV. Nous passons ensuite du point de vue de son interlocuteur et nous nous rendons compte qu’Alain est en fait inintelligible : il parle avec confiance mais, il enchaîne des mots au hasard et n’est pas conscient de ce lapsus de langage. C’est à travers cette scène que nous sommes sensibilisés à l'écart qui existe entre la perception qu’Alain a de sa déficience (il ne la perçoit pas) et son entourage. Cette scène arrive cependant trop tard, en ce que le film s'est jusque-là concentré sur les malentendus qui pouvaient naître entre lui et les autres personnages non déficients, et ce dans un but essentiellement comique, où les lapsus d’Alain donnaient lieu à des moqueries et plaisanteries.
Vers la fin du film, après une seule séquence dans laquelle Alain fait des efforts pour réacquérir ses fonctions langagières, nous le voyons pratiquer avec Jeanne le discours qu'il va prononcer à une conférence de presse. Alain, accompagné par Jeanne, parvient à délivrer son discours, ne faisant que quelques fautes de mots. Une telle ellipse tend selon nous à évacuer l’aspect plus sombre et difficile lié à la perte de la parole pour se concentrer uniquement sur l’aspect positif de la rééducation. En outre, le film ne nous fournit aucun contre-exemple d'individus pour qui la rééducation ne permet pas de retrouver toutes leurs compétences langagières à la suite d'un AVC, ce qui ne prend pas en compte les divers degrés de gravité de l’AVC. En ce sens, nous pouvons considérer la représentation de la déficience comme étant relativement limitée, car elle fait abstraction des aspects les plus difficiles et complexes de l’AVC, choisissant de traiter ces derniers sur un mode plus léger et "comique", ce qui empêche une compréhension plus juste du ressenti de la personne ayant eu un AVC.