Monsieur je-sais-tout (Stéphan Archinard et François Prévôt-Leygonie, 2018)
Vincent Barteau, 35 ans, entraîneur de foot d'1,92 m, voit débouler dans son quotidien de célibataire invétéré, son neveu, Léo, 13 ans, 1,53 m autiste Asperger et joueur d'échecs émérite. Cette rencontre va bouleverser l'existence de Vincent et offrir au jeune Léo un autre parcours de vie (Allociné).
Pays de production: France
Présentation du/des personnage(s) déficient(s)
Léo (Léonard) est autiste Asperger, ce qui Ce talent se traduit, entre autres, par une aptitude supérieure en stratégie au football et aux échecs. Léo éprouve également des difficultés liées à l’autisme dans d’autres domaines : il présente certains symptômes de TOC, et des comportements répétitifs, comme une inflexibilité quant à sa routine quotidienne et son régime alimentaire. Léo a été abandonné par sa mère, la soeur de Vincent.
Regard porté sur la déficience
L’autisme dans Monsieur je-sais-tout sert principalement d'enjeu narratif et Léo, autiste-savant, est essentiellement perçu par le prisme de son autisme, son ressenti ainsi que son vécu étant mis à l’écart. Léo est diagnostiqué autiste Asperger tôt dans le film par une professionnelle de la santé, la docteure Saubade, qui énumère les caractéristiques de l’autisme, ce qui a pour effet de sursignifier la déficience chez Léo en le présentant de façon univoque comme étant "différent", et en en faisant sa caractéristique première. Saubade parle d’« insensibilité à la douleur, fuite du regard, capacité de raisonnement en armes, activité obsessionnelle » et compare Léo à Glenn Gould, « savant autistique » et champion d’échecs, comme Léo. « L’insensibilité à la douleur » dont Saubade parle est une généralisation et constitue également une interprétation erronée de l’autisme, car le diagnostic du DSM-V reconnaît que 70% des autistes ont une hyper- ou hyposensibilité aux stimuli sensoriels. La docteure Saubade explique les difficultés de communication et les réactions « atypiques » de Léo sous un prisme normatif, car elle le compare a un « martien » parmi les « normaux » (notons également ici l'emploi d'un vocabulaire qui tend à stigmatiser la personne déficiente). Le film ne valorise pas le point de vue de son personnage autiste ; son vécu, ses intérêts, ou ses émotions nous sont uniquement explicitées par un tiers, jamais par lui.
Visuellement, le film nous offre une représentation de l'autisme que l'on pourrait qualifier de "généralisante" en ce qu'elle ne prend pas réellement en compte la spécificité du vécu de la personne autiste: Léo a un comportement obsessionnel et des intérêts limités - il ne mange que des barres de céréales, rejoue constamment les matchs de foot à la télé pour analyser la stratégie, et il a des difficultés de socialisation et de communication verbale. Ses émotions sont difficiles à interpréter: il a un regard intense et n'exprime que peu d'émotions. Le film n'offre qu'un aperçu très limité du monde intérieur de Léo, tant sur le plan sensoriel qu'émotionnel, ce qui a pour effet de maintenir le public à distance, ce dernier n'ayant pas accès à la subjectivité du personnage. L’autisme est également sursignifié et sert parfois d'enjeu comique dans la progression du récit. Par exemple, Léo a une fixation sur la valeur nutritionnelle des aliments, qu’il énumère à plusieurs reprises, ainsi qu’avec le numéro "77", ce qui exaspère Vincent et que le film choisit de représenter sur un mode comique. Léo a le regard fuyant, et ses comportements sont présentés comme étant “différents” des autres. Par exemple, dans la scène où le public rencontre Léo pour la première fois, ce dernier va se réfugier dans la nature lorsque Vincent se rend chez les grand-parents de Léo. L'image volontairement floutée et le recours à une musique aux tonalités sombres et mystérieuses concourent à instaurer un climat quelque peu angoissant. C’est pourquoi Vincent et le public le prennent initialement pour un animal sauvage, et cette "différence" du personnage autiste par rapport aux autres personnages non déficients va être perpétuée tout au long du film. De plus, étant donné que le film nous offre un aperçu très limité du vécu de Léo, le public est amené à s’identifier et à partager les réactions exaspérées et comiques de Vincent, et ce au détriment de Léo.
Le Docteur Saubade affirme que Léo a besoin de Vincent afin que « sa petite lumière ne s’éteigne pas ». Elle réitère ce propos à plusieurs reprises pour convaincre Vincent de prendre Léo à sa charge, malgré son projet de carrière de partir en Chine pour entrainer une équipe de foot professionnelle. À travers ses propos, Saubade insinue que sans l'aide (d'une personne neurotypique), Léo ne pourrait parvenir à s'autonomiser, et « là, la petite lumière elle s’éteint ». De tels propos correspondent selon nous à une vision normative qui promeut une perception du personnage autiste comme objet de soins et inscrit de ce fait le rapport entre Léo et Vincent dans un contexte de dépendance plutôt que d’interdépendance. À la fin du film, Saubade dit de Léo : « Il est plus dans les ronces, vous l’avez sorti ». Le film explicite ainsi la dépendance du personnage autiste envers Vincent, personnage neurotypique, sans mettre en valeur la perception et le ressenti de Léo. L’autisme est également caractérisé comme marque d’altérité, à travers des propos très généralisants. Saubade décrit par exemple l’autisme de Léo comme l’isolant du reste du monde: « C’est comme si Léo était une sorte de Martien, qui est en visite sur Terre. Il voit des choses que les neurotypiques ne remarquent plus. Les neurotypiques c’est les gens normaux, vous et moi ». De tes propos correspondent à une vision binaire et réductrice de l'autisme, et le film offre très peu d’aperçu sur Léo en tant qu’individu à part entière, hormis à travers le prisme de sa déficience, son point de vue étant généralement éclipsé au profit de celui des autres personnages.
Monsieur je-sais-tout offre également des propos généralisants quant à la sensibilité chez les personnes autistes. Une des caractéristiques de l’autisme concerne l’hypo- et l’hypersensibilité dans certaines situations. Le film ne donne qu'un aperçu très limité du vécu sensoriel de Léo, et associe l’autisme avec une insensibilité générale, ce qui correspondant à une vision binaire de la déficience qui prend la non déficience comme mètre étalon. Dans une scène, Léo se blesse sur le terrain de foot et se tient, stoïque, alors qu'il saigne de la tête, disant ne « rien sentir » lorsque Saubade lui demande s’il a mal. Bien que l’hyposensibilité soit une des caractéristiques avérées de l’autisme, les autistes ne sont pas tout le temps insensibles. Ils peuvent éprouver une hypo- ou -hypersensibilité à certains stimuli, en particulier lorsque le toucher physique, la douleur, ou toute autre sensation coincide avec un bouleversement émotionnel. Le manque d’exploration de cet aspect dans le film insinue que Léo éprouve une insensibilité permanente, ce qui tend à le déshumaniser auprès du public. Le stoïcisme constant de Léo empêche également d'avoir accès à sa subjectivité, à son propre ressenti face aux événements. Nous percevons et interprétons les manifestations de son autisme presque exclusivement à travers le prisme médical et les propos de la docteure Saubade, qui tendent à véhiculer une image globalisante de l'autisme où ce dernier est perçu et interprété à l'aune de la non déficience.