Hors Normes (Olivier Nakache et Éric Toledano. 2019)
Bruno et Malik vivent depuis 20 ans dans un monde à part, celui des enfants et adolescents autistes. Au sein de leurs deux associations respectives, ils forment des jeunes issus des quartiers difficiles pour encadrer ces cas qualifiés « d’hyper complexes ». Une alliance hors du commun pour des personnalités hors normes (AlloCiné).
Pays de production: France
Présentation du/des personnage(s) déficient(s)
Tous les enfants et adultes pris en charge par les deux associations ont des déficiences (principalement l'autisme). Cependant, les deux personnages déficients principaux sont Joseph (concentration limitée, impulsif) et Valentin (autodestructeur) qui ont des formes d’autisme que l'on peut qualifier de "sévères" dans la mesure où leur autisme nécessite un besoin de supervision et de soutien permanent. La plupart des acteurs incarnant des personnages secondaires sont réellement déficients.
Regard porté sur la déficience
Hors Normes nous dévoile le quotidien de deux associations et notamment de leurs dirigeants, Bruno et Malik. Le film met aussi parfois en scène une vision de la déficience du point de vue même de la personne déficiente. Certains plans nous montrent, par exemple, le monde tel qu’il est perçu par Valentin, un jeune garçon qui a longtemps été interné avant d’être pris en charge par l’association et qui porte un casque de boxe afin de ne pas s’infliger de blessures. Lors de tels plans, la mise en scène cherche à sensibiliser le/la spectateur·trice à la perception du monde tel qu’en fait l’expérience la personne déficiente. Les plans en caméra subjective offrent ainsi une vision floue et restreinte par les bords du casque ainsi que des sons étouffés.
Après un examen plus approfondi, on constate cependant que cette approche est plus sur la forme que sur le fond car le film n'offre pas d'explications quant à la raison pour laquelle Valentin porte un casque. La mise en scène ne cherche pas non plus à essayer de retranscrire les sensibilités auditives et visuelles du point de vue du personnage. Hors Normes illustre ainsi selon nous la manière dont un travail sur l'image peut donner l’impression que le film représente une déficience de manière juste.
De plus, la violence de Valentin a essentiellement pour but de valoriser l’association qui "libère" Valentin de l’hôpital, faisant ainsi du personnage un objet de soin. La violence est aussi une façon facile - car "efficace" sur un plan visuel - de représenter une déficience "extrême". La mise en scène fait ici preuve d’une vision binaire de la validité car la représentation de Valentin peut être vue comme stigmatisante, en ce qu'elle joue sur notre "peur" de la déficience et de "l’Autre". La résolution de la violence de Valentin nous semble également traitée de façon irréaliste, puisqu'à la fin du film on lui enlève son casque et qu'il est capable d’interagir avec les autres. Un tel dénouement semble indiquer que l'amélioration de son état est avant tout liée à la ténacité du personnel encadrant de l'association, valorisant par-là la ténacité des personnages non-déficients au-dessus de l’individualité des personnages déficients au détriment du personnage ayant une déficience. À l'inverse, le film ne cherche pas à communiquer au public l’hypersensibilité de Valentin et comment cela affecte son quotidien.
Cependant, la représentation de certains autres personnages déficients nous apparaît plus humanisante, comme celle du spectacle de danse contemporaine de Joseph, à la fin du film, où il s’insère sans difficulté dans la troupe. Au milieu des autres, il peut exprimer sa personnalité en toute harmonie et se fond dans le groupe. On constate également une volonté au niveau du récit d’aller à l’encontre de certains stéréotypes, en mettant par exemple l'accent sur l’importance de laisser chaque enfant déficient faire « à son rythme » et « à sa manière » plutôt que d’essayer de leur imposer des règles pré-établies. Par exemple, lorsque Valentin est emmené voir des chevaux pour essayer de créer une complicité avec l’animal, Malik ne le force pas à sortir de la voiture sous prétexte qu’il faudrait profiter de cette opportunité. Au lieu de cela, il laisse la porte de la voiture ouverte afin qu’il puisse voir les autres, et se joindre à eux s'il le souhaite. D’autres scène abordent certains stéréotypes culturels, notamment la croyance dans certaines cultures que la déficience est un signe "d’ensorcellement" qui peut être guéri - une mère d’origine sénégalaise souhaite faire « désenvouter » son enfant dans son village natal.
Le film s’articule autour de trois axes importants : la défaillance institutionnelle du système de santé, la vision des parents de personnes déficientes, et la relation entre les accompagnateurs (souvent issus de milieux défavorisés) et les enfants déficients. Ces trois axes soulignent l’importance des associations comme unique recours pour les personnes avec des déficiences plus importantes, car ces dernières sont souvent abandonnées par l'État. Hors Normes dénonce ainsi la défaillance du système de santé dans la prise en charge de personnes atteintes d’"autisme sévère". Nous observons cette défaillance flagrante tout d’abord par le biais du personnage de Bruno, fondateur d’une des associations, qui est incapable d’avoir une vie en-dehors de son travail et qui est constamment sollicité par des médecins, des responsables d’instituts hospitaliers, son équipe, et les enfants qu’il a à charge. Nous constatons ensuite, dans la scène avec le comptable, que l’association elle-même n’est pas en bonne santé financière et manque cruellement de fonds. Enfin, nous suivons à travers la majorité du film l’enquête des inspecteurs de la santé publique qui menacent de fermer l’association car elle n’a pas obtenu d’accord officiel et emploie des accompagnateurs sans diplômes. Au début, les inspecteurs ne pensent qu’en termes de "d’hygiène" et de "sécurité" en ce qui concerne les enfants déficients, alors même que, de manière ironique, il n’existe pas d’autre structure pouvant les accueillir. Le film met également en lumière la complexité du système, qui reste inaccessible pour beaucoup, à laquelle s'ajoute le fait que certaines déficiences sont plus stigmatisées que d’autres lors de la "sélection" opérée par les centres de soins (comme le dit un des éducateurs: « s’il baffe ou qu’il mord » l’enfant n’est pas pris). Paradoxalement, plus l’autisme est sévère, moins il est traité. Les intertitres en fin de film indiquent que l’administration reconnaît son impuissance et qu’elle laisse provisoirement la structure d’accueil en place.
Un autre axe intéressant présenté par Hors Normes est la représentation qui est faite des parents de personnes déficientes. Lors des nombreuses visites chez Joseph et lors d’un entretien avec les inspecteurs, nous découvrons la détresse de la mère de Joseph qui s’occupe seule de son enfant. Elle décrit les difficultés auxquelles elle a dû faire face lorsque les instituts ont refusé les uns après les autres de s’occuper de son fils et qu’en désespoir de cause, elle a dû arrêter de travailler pour s’occuper de lui à temps plein et sans formation. Le film soulève un point important quant aux accompagnant.e.s de personnes déficientes et offre en cela un portrait réaliste du temps et des ressources nécessaires dans la prise en charge d'une personne avec des déficiences.
Enfin, Hors Normes établit un parallèle intéressant entre les jeunes issus de milieux défavorisés formés à devenir accompagnateurs, et les enfants déficients dont ils s’occupent. Les deux groupes partagent en effet des points communs, notamment une difficulté à contrôler leurs émotions et à verbaliser leurs ressentis et leurs expériences. Ils ont également du mal à trouver leur place dans la société actuelle. Plutôt que de présenter ces individus comme "inadaptés", c'est la société qui est caractérisée comme défaillante et "écrasante", raison pour laquelle les deux associations sont si importantes, en ce qu'elles offrent des opportunités et une qualité de vie aux individus à leur charge. Nous sommes particulièrement sensibles à ces parallèles dans la relation qui lie Dylan, jeune accompagnateur un peu perdu qui cherche sa place, et Valentin, dont il a la charge exclusive. Rabroué par son chef, Dylan claque la porte de l'association à plusieurs reprises ; Valentin, perturbé, frappe Dylan au visage pendant une séance d’étirements. Dylan n’arrive pas à écrire de rapports de synthèse et utilise un vocabulaire très limité ; Valentin ne parle pas, mais exprime ses sentiments par la violence, notamment lorsqu’il se rend compte que Dylan ne viendra pas le chercher tous les jours. Constamment en retard, Dylan est rappelé à l’ordre par ses supérieurs, qui lui font clairement comprendre qu’il « n’est rien » et que l’association lui offre probablement sa seule chance d'insertion professionnelle. De la même manière, l’association représente la seule alternative aux médicaments et aux sangles pour Valentin. L’indifférence manifeste de Valentin envers Dylan et vice versa au début du film donne naissance à une entente puis à une relation de complicité. Cependant, le film valorise majoritairement la transformation de Dylan, personnage non déficient, à travers la relation qu'il noue avec Valentin. Le personnage de Valentin fonctionne donc plutôt comme un ressort narratif, conduisant la transformation méliorative de Dylan. Le film est principalement axé autour de la relation de dépendance des personnes déficientes avec leur soignants et mentors, perpétuant d'une certaine manière une dichotomie parfois présentée de manière simplifiée entre "les autistes" (comme objets de soins) et les professionnels de la santé.