L'Enfance d'Icare (Alex Iordachescu, 2011)

Résumé du film

Suite à un accident, Jonathan Vogel est paralysé de la jambe droite. Jonathan participe à un essai clinique pour un nouveau traitement révolutionnaire de régénération cellulaire dirigé par le Docteur Karr. Celui-ci travaille depuis des années sur un traitement pour soigner sa fille, Alice, qui est atteinte d’une maladie génétique dont sa mère est décédée. Suite à une erreur dans son traitement, l’état de santé de Jonathan s’aggrave et il développe une tumeur. Le film explore les enjeux éthiques associés avec les essais cliniques sur les humains.

Pays de production: France, Suisse, Roumanie

L'enfance d'icare affiche
Type de déficience
Date de sortie
2011-01-11
Genre cinématographique
Principal ou Second Rôle
Principal
Analyse

Présentation du/des personnage(s) déficient(s)
Jonathan, un homme dans la trentaine, est paralysé de la jambe droite. L’origine de sa paralysie, que le synopsis du film attribue à un accident, n’est ni dévoilée ni mentionnée dans le film. L’assistante du docteur Karr mentionne que Jonathan était avocat avant son accident, ce qui est la raison pour laquelle Karr craint qu’il ne le poursuive en justice suite à l’échec du traitement.
 
Regard porté sur la déficience
L’Enfance d’Icare critique explicitement l’inhumanité et le manque de professionnalisme du Docteur Karr à l’égard de son patient en juxtaposant les intérêts économiques et égocentriques de l’hôpital et du docteur avec les motivations altruistes d’Alice, qui travaille dans le laboratoire de son père. Jonathan est motivé par son rétablissement tout au long du film et, étant prêt à tout pour ce faire, se fait exploiter par le Docteur Karr.
La mise en scène du corps de Jonathan sensibilise le public aux spécificités motrices de sa déficience. Jonathan alterne entre boiter et traîner sa jambe derrière lui lorsqu’il marche. Sa motricité et son port indiquent que Jonathan vit avec sa déficience depuis un moment et qu'il semble "à l’aise" dans son corps, du moins en apparence. Nous découvrons en effet que cette situation le fait souffrir moralement, sentiment qu’il exprime lui-même lorsque son ex-femme lui demande, « Qu’est-ce que tu veux changer ? » Et qu’il répond, « Tout ». Le film ne cache pas les difficultés liées à la paralysie d’un membre, et celles-ci sont exprimées - quoique brièvement - par Jonathan lui-même.
Le premier acte du récit met en avant la détermination de Jonathan, de sorte que sa déficience est perçue comme une de ses caractéristiques, et non comme son unique trait définitoire. Jonathan participe à un essai clinique et se rend à l’hôpital pour faire une prise de sang et il nous est présenté comme un individu mobile et actif. Cette mobilité est cependant définie par des marqueurs visuels de sa déficience. Notre premier aperçu de Jonathan à l’écran se fait par le biais de son pantalon, choix de costume qui nous rappelle constamment sa déficience dans le film. Jonathan, qui est grand et mince, porte un pantalon brun très large au niveau des jambes, ce qui attire le regard, au détriment d’autres caractéristiques de son individualité, telles que ses expressions faciales ou ses émotions. Jonathan est défini par sa déficience tant au niveau visuel que narratif, car le public n'a que peu d'informations sur son quotidien tant avant qu’après son accident. Une seule scène en flashback située vers la fin du film laisse entendre que Jonathan a été grièvement blessé à la jambe lors d’un accident de moto. Cependant, les circonstances spécifiques de l’accident et les lésions physiques de sa jambe qui limitent sa mobilité ne sont jamais expliquées. Il est aussi possible que cette omission soit un choix scénaristique dans le but de ne pas sursignifier la déficience, s’éloignant des circonstances traumatiques qui l’ont causé afin de se focaliser sur le futur. Le choix de pantalon trop grand pour l’acteur sous-entend également une tentative de la part du personnage de "cacher" sa déficience.
Aussi bien sur le plan visuel que narratif, le film ne cherche pas à donner une compréhension affinée du quotidien de Jonathan. Lorsqu'il est seul au sein du cadre, Jonathan est cadré en plans larges, ce qui ne nous permet pas d'avoir accès à ses émotions ou à son ressenti. De ce fait, le public se questionne sur certains aspects de son quotidien et de sa sensibilité : A-t-il mal ? Si oui, est-ce une douleur constante ? Est-il difficile pour lui de marcher avec une jambe paralysée ? Obtenir des éléments de réponse à ces questions par le biais du récit et/ou du visuel nous permettrait de mieux comprendre pourquoi Jonathan veut participer à cette étude. Ce n’est que lorsqu’il partage l’écran avec d’autres personnages que Jonathan est cadré en plans plus serrés, ce qui nous permet de mieux interpréter ses émotions. Une scène sensibilise le public à son vécu physique lorsque, lors d’une conversation entre Alice et Jonathan, ce dernier laisse entendre qu’il ne peut plus avoir de relations sexuelles à cause de sa paralysie. 
La mise en scène tente par moments de véhiculer le ressenti de Jonathan lors du traitement. La désorientation dont le personnage fait l'expérience dans une scène est ainsi retranscrire visuellement, par le biais d'une image floutée qui rend indistinct l'environnement au sein duquel se trouve Jonathan. Dans une autre scène, Jonathan dit « entendre des bruits dans [s]a tête » et d’avoir l’impression que son corps « n’est pas prêt » à poursuivre le traitement. Le personnage communique ainsi son inquiétude face au traitement, sentiment auquel le film tente de nous sensibiliser, parallèlement à sa désorientation et à sa léthargie physique, à travers un travail sur le son (bourdonnements) et le visuel (prises de vue floutées). Un tel travail de mise en scène offre une approche plus spécifique de la déficience du personnage. Par exemple, lorsque le traitement médical ne fonctionne pas comme prévu, nous en sommes alertés par une bande-son dissonante où l'on entend des craquements et des bruits de pas au loin, instaurant une atmosphère angoissante. Cependant, le manque d’informations sur la déficience elle-même rendent ces tentatives insuffisantes, car nous n’avons qu’un aperçu sur l’impact du traitement, et non sur la manière dont Jonathan ressent et perçoit sa déficience au quotidien.
Bien que le film tente de nous sensibiliser à la manière dont la paralysie de sa jambe nuit à la qualité de vie de Jonathan, sa déficience est souvent sursignifiée, tant sur le plan visuel et narratif. Plusieurs scènes de flashbacks mettent en images les moments heureux que Jonathan a partagés avec son ex-partenaire avant son accident, ces scènes optimistes apparaissant comme le revers lumineux d'une existence qui, dans la présent de la narration, est marquée par le pessimisme et la souffrance. Ainsi, les partis pris narratifs et visuels associent avant tout la paralysie avec la perte de mobilité et l'absence de bonheur, véhiculant une vision stigmatisante de la déficience. Il nous apparait en effet que le film met davantage l'accent sur ce que Jonathan a "perdu" en raison de sa déficience (sa femme, son autodétermination physique, sa carrière).
Le corps de Jonathan est principalement représenté sous l'angle médical, notamment par le fait qu’il soit constamment touché lors des tests et que le médecin et les infirmières le caressent à plusieurs reprises, sans justification médicale apparente. En outre, dès le début de son séjour à l’hôpital, ses déplacements sont surveillés et restreints. Les médecins surveillent ses déplacements sans son consentement, afin qu’ils puissent savoir où il se trouve à tout moment. Jonathan perd son auto-détermination peu après son arrivée à l'hôpital, tant sur le plan psychologique que physique, car on lui administre aussi des médicaments qui l'affaiblissent ainsi que des tranquillisants pour le "calmer".
Le traitement médical qui conduit à l’aggravation de son état de santé demeure toujours hors-champ, et est expliqué dans un jargon médical difficile à comprendre pour un public sans connaissances médicales. Lorsque Jonathan passe une IRM par exemple, l’assistante du docteur Karr dit à celui-ci : « La tumeur a grossi, il faut opérer ». Ce propos, situé au milieu du film, est la première mention d’une tumeur, de sorte que la déficience de Jonathan demeure constamment enveloppée de mystère. Dans une autre scène, lorsque les résultats de sa prise de sang sont prêts, Karr dit que ceux-ci « montrent une prolifération anormale de cellules ». Le jargon médical rend là encore la compréhension de la déficience du personnage inaccessible au public, ce qui le maintien constamment à distance du personnage. Il ressort de ces choix que le film cherche à maintenir à distance les "peurs" liées à l’invalidité et à la maladie, établissant ainsi une dichotomie entre le monde des valides et le personnage déficient.
La prise de position du film sur la déficience est donc floue. Les propos du docteur Karr présentent la déficience comme un "manque" auquel il convient de remédier et une marque d’altérité par rapport à la "norme" , point de vue qui n’est jamais explicitement critiqué ni expliqué dans le film.