Chacun pour tous (Vianney Lebasque, 2018)
Martin, entraîneur d'une équipe de basketteurs avec des déficiences intellectuelles, décide pour les Jeux paralympiques de tricher en incorporant dans l'effectif des joueurs non déficients. S’ensuit une histoire de dupe et d’amitié pendant laquelle Stan et Benjamin, meilleurs amis et joueurs amateurs de basketball non déficients, remettent en question leurs préjugés sur les personnes déficientes et se questionnent sur les implications éthiques de leur participation.
Pays de production: France
Présentation du/des personnage(s) déficient(s)
À l'exception des équipes française et russe qui comprennent toutes deux des joueurs non déficients en leur sein, les autres athlètes paralympiques dans le film ont tous des déficiences. Benjamin commence une relation avec une olympienne paraplégique de l’équipe américaine qui se déplace en fauteuil roulant. Deux autres joueurs de l’équipe française, Johan et Freddie, sont autistes (et sont incarnés par des acteurs autistes). La fille adolescente de Martin se déplace en fauteuil roulant et a vraisemblablement une déficience motrice. Deux autres personnages faisant partis de l’équipe française (établis comme non déficients au départ) s'avèrent avoir un QI faible de 73, juste au-dessus du seuil de 71 points pour être diagnostiqué de « déficience intellectuelle ».
Regard porté sur la déficience
Dans l’ensemble, Chacun pour tous promeut une vision plus généralisante qu’insultante de la déficience telle qu’elle est définie par Martin, qui perpétue parfois une dichotomie normative entre la déficience et la « non déficience ». Lorsqu’il révèle aux joueurs de basket amateurs non déficients qu’ils vont participer aux Jeux olympiques par exemple, il leur dit en premier, « vous allez jouer pour l’équipe nationale » ; il prend ensuite une longue pause pendant laquelle les joueurs se félicitent avec enthousiasme, pensant qu’ils vont être bien payés tout en exerçant leur hobby, puis il ajoute, « l’équipe nationale des déficients mentaux ». Les joueurs pensent qu’il leur fait une blague et éclatent de rire. Les réactions des joueurs moqueurs, puis indignés, sont mises en lumière à des fins 'humoristiques' dans cette scène. Dans la scène suivante, lorsque les joueurs non déficients rencontrent les cinq joueurs déficients, la gêne de Benjamin (un des personnages principaux non déficients) est également mise en avant à des fins humoristiques : la scène sur-signifie en effet la différence entre les personnages autistes et les personnages non déficients à travers le point de vue du personnage de Benjamin. Ce dernier bégaie, « c’est une blague, c’est vraiment des… ils sont… ». Johan, qui est autiste, n'ayant pas conscience de l’inconfort des joueurs non déficients, termine sa phrase en demandant « cool ? ». Les joueurs déficients sont caractérisés comme étant 'différents' du fait de leur déficiences, à travers des propos qui spectacularisent la déficience et la présentent avec des termes généralisants qui reflètent le point de vue des personnages non déficients.
Le film spectacularise la déficience en la présentant comme un état d’existence 'hors-normes'. Cela s'exprime en grande partie par le biais du visuel, comme lorsque les joueurs non déficients opèrent par 'mimétisme' en reproduisant la déficience intellectuelle 'visible' des autre membres de l'équipe afin que leur supercherie ne soit pas mise à jour. Cette approche déshumanisante et généralisante de la déficience intellectuelle est souvent utilisée à des fins 'humoristiques', comme lorsque Benjamin demande à Martin, « comment on fait pour faire les… » (sous-entendant les personnes déficientes) et qu’il 'imite' les personnes déficientes en faisant une petite voix aiguë, se recroquevillant pour se faire petit et imitant les mouvements d’une personne se déplaçant en fauteuil roulant, les présentant ainsi comme 'faibles' et 'diminués', et ce à des fins comiques puisque l’équipe éclate de rire.
Cette perspective capacitiste et généraliste de la déficience est également mise en avant par Martin, comme lorsqu’il 'dirige' ses joueurs afin qu'ils soient le plus 'convaincants' possible dans leur mimétisme des personnes intellectuellement déficientes. Bien qu’il leur donne des conseils spécifiques sur la façon de 'jouer' ces individus (« ralentissez l’allure », « n’en faites pas trop », « parlez lentement », « sort un bout de ta chemise de ton pullover », « met un fanny pack »), Martin véhicule à travers ses propos une conception de la déficience où celle-ci est perçue comme un mode d’existence univoque que l’on reconnait principalement par le biais d'‘indices’ visuels clairement identifiés et toujours identiques. Martin, personnage auquel le public est encouragé à s'identifier du fait de son ‘expertise’, ‘complimente’ un joueur non déficient (André) en lui disant, « c’est bien, on a l’impression que t’as fait ça toute ta vie », ce qui fait éclater de rire les autres joueurs (là encore, le public est encouragé à partager leur point de vue) au détriment des personnages intellectuellement déficients. Cet exemple n’en est qu’un seul parmi plusieurs présents tout au long du film. De ce fait, la déficience intellectuelle est abordée de manière très générale comme comprenant quelques caractéristiques, principalement visuelles, sur-jouées par des personnages non-déficients, et ce à des fins humoristiques.
Les personnages avec un déficit intellectuel sont également infantilisées au cours du film. Martin véhicule une vision binaire et capacitiste de la déficience intellectuelle à plusieurs reprises. Par exemple, au début du film, lorsque Benjamin dit de l’équipe déficiente, « c’est des idiots », Martin le contredit : « Non, c’est des grands enfants ». Malgré le fait qu’il dénonce le terme « idiot » comme étant insultant, il encourage les basketteurs non déficients à se présenter « comme des enfants timides », et dit aussi à un des basketteurs, qui est père, « pour le CIP t’as pas d’enfants ». Ces propos mettent en avant une vision non seulement généralisante mais limitante des personnes déficientes comme étant 'hors-normes' et incapables de vivre de manière indépendante. Martin verbalise son objectivation des basketteurs déficients à la fin du film, lorsqu’il explique à Benjamin et Stan pourquoi il est devenu entraineur de l’équipe paralympique, affirmant qu’il « voulait se rendre utile ». Il sous-entend ici une relation de dépendance entre lui et les personnages déficients ; ces derniers sont ainsi perçus comme des 'objets' de soin, objectivés afin de valoriser les qualités (dans ce cas, l’altruisme et la détermination) des personnages non déficients.
Le film présente cependant une diversité des vécus de la déficience du fait qu’il y ait plusieurs personnages déficients avec des passions et des personnalités différentes : Johan, le capitaine de l'équipe, est autiste et fan de basket ; Freddie, aussi autiste, est doux, gentil, romantique et fan du groupe de musique Queen ; finalement, une olympienne paraplégique américaine est représentée comme belle, assurée, athlétique et attirante, puisqu’elle initie une relation avec Benjamin.
Lorsque Martin aborde frontalement le sujet des personnes avec des déficiences intellectuelles, il le fait souvent en établissant des similarités avec les non déficients, ce qui à pour effet de normaliser la déficience. Il dit par exemple : « Les déficients mentaux sont des gens comme vous et moi, mais avec un QI inférieur à 70. Ça se traduit par des difficultés pour comprendre les questions ou pour construire un raisonnement ». Bien qu'ils restent très généraux, de tels propos cherchent à sensibiliser le public au vécu de ces personnages. Le personnage de Martin remet également en question la pertinence de la dichotomie entre « déficience » et « non-déficience » intellectuelle lorsqu'il s'interroge : « Où se situe la frontière, au-dessus ou en-dessous de 70 [points de QI] ? », ajoutant : « y’a des tas de formes d’intelligence : l’intelligence sociale, la créativité, l’originalité, la morale ». Dans ces moments-là, le film valorise une vision moins globalisante et plus spécifique de la déficience propre à chaque personnage et la présente comme un autre état d’existence, au même titre que la non déficience.
Au cours du film, des amitiés se nouent entre les personnages déficients et les valides. L’interdépendance et la diversité des vécus sont ainsi valorisées, puisque la déficience et la non déficience ne sont pas représentées comme deux mondes à part, et la déficience n’est pas limitée à un seul mode d’existence. Benjamin et Freddie sont plus extravertis, tandis que Johan et Stan sont plus sérieux, Stan vivant un dilemme moral pendant la plupart du film du fait de se faire passer pour une personne intellectuellement déficiente.
Dans ses derniers moments, le film se positionne sur une problématique nouvelle, lorsque Julia (la psychologue qui évalue et accompagne les joueurs) critique Stan pour avoir participé à la supercherie et qu’il lui répond, « mais on forme pas une putain de belle équipe ?! ». Ce commentaire met en lumière une question intéressante soulevée par le film, à savoir l’utilité (ou l’inutilité) de différencier la déficience et la non déficience ainsi que de différencier entre différentes types de déficiences dans certaines disciplines ou activités comme le sport.