Henri (Yolande Moreau, 2013)
Henri tient un restaurant dans un village dans les environs de Charleroi, en Belgique. Au décès de sa femme Rita, il décide de se faire aider par un "papillon blanc", une résidente d’un foyer d'"handicapés mentaux" prénommée Rosette. L'arrivée de Rosette à La Cantina va alors bouleverser son quotidien, l’aidant à faire le deuil de sa femme et à reprendre goût à la vie.
Pays de production: France, Belgique
Présentation du/des personnage(s) déficient(s)
Rosette, une femme avec une déficience intellectuelle, réside dans un foyer hébergeant d’autres personnes ayant elles aussi des déficiences. Ce service est créé par l’Association des Papillons Blancs, une association qui existe réellement et qui réunit des personnes déficientes pour défendre leurs droits et les accompagner. Rosette est indépendante lorsqu’elle se trouve dans des environnements qui lui sont familiers, mais elle rencontre des difficultés à s’adapter à des situations et à des lieux qui lui sont étrangers. Elle est également plus susceptible d'être exploitée à cause de son déficit intellectuel.
Regard porté sur la déficience
Henri explore l’amitié entre deux personnages discrets dans une petite ville de Belgique. Henri, un restaurateur ayant la quarantaine qui a du mal à gérer seul son restaurant après le décès soudain de son épouse, embauche Rosette. Celle-ci vient aider Henri en accomplissant des tâches mineures, comme sortir les poubelles, dresser les tables, et socialiser avec les clients. Peu à peu, Rosette et Henri se rapprochent et le film explore la façon dont les villageois perçoivent leur relation, tout en soulignant les sentiments sincères qu’éprouvent Rosette et Henri l’un pour l’autre. Le film prend position quant à la question des relations intimes entre une personne ayant un déficit intellectuel et une personne sans déficit d'intellect, sans pour autant stigmatiser la relation entre Henri et Rosette. Ils partagent des moments ludiques et intimes (ils se tiennent la main, se serrent l’un contre l’autre) et Rosette consent ouvertement à leur relation lors de conversations avec Henri. Le film met en images l’autodétermination de Rosette et les sentiments réciproques entre les personnages, tout en indiquant que Rosette est susceptible d'être exploitée par Henri - ou par tout autre personnage non déficient - en raison de sa déficience intellectuelle.
D’autre part, le film explore les enjeux éthiques liés aux relations amoureuses/intimes entre les personnes intellectuellement déficientes et celles sans déficit d’intellect, se questionnant sur la zone grise entre la domination potentielle d’une des personnes sur l’autre et l’amour réciproque. Henri est toujours respectueux, ne faisant pas d’avances à Rosette, et lorsque celle-ci sous-entend qu’elle veut entamer une relation avec lui, il dit : « C’est pas possible papillon, je suis trop vieux, et toi t’as des problèmes de santé ». Henri semble donc être conscient des implications éthiques qui découleraient d’une relation avec une personne ayant des capacités intellectuelles plus limitées que lui, et le film semble indiquer que cela se ferait aux détriments de l’intégrité de Rosette.
La déficience intellectuelle de Rosette est essentiellement représentée comme un signe de vulnérabilité dans une société parfois prédatrice. Nous trouvons plusieurs exemples de cela dans le film : lorsque deux clients du restaurant réagissent avec stupeur et dégoût à l’idée qu’Henri ait pu avoir une relation avec Rosette (« T’as pas fait ça quand même ?! C’est dégueulasse, on touche pas aux handicapés, on peut rigoler mais pas franchir le [seuil] »). L’hypocrisie de cette réplique tient du fait que, plus tôt dans le récit, ces mêmes individus ont objectivé et sexualisé Rosette. En effet, lors de son service, Rosette s’est penchée pour ramasser quelque chose, et les hommes ont regardé son derrière, se lançant un regard complice en disant « Tu vois c’que j’vois ? Grand moment, grand moment ! ». Plus tard, les mêmes hommes ont poussé Rosette à boire plusieurs verres d’alcool fort avec eux « cul sec ». N’ayant pas conscience des effets de l’alcool, Rosette est rapidement devenue ivre. Ces deux scènes mettent en lumière la vulnérabilité de Rosette du fait de sa déficience intellectuelle et de sa naïveté, représentant ainsi les deux hommes non déficients comme des prédateurs potentiels. Dans cette optique, la relation intime basée sur la réciprocité qu’entretiennent Henri et Rosette est présentée comme saine, puisque Rosette exprime ses sentiments pour Henri et décide d’elle-même de partir avec lui. Un autre exemple se trouve lors d’une scène où Rosette se rend à la piscine et qu’elle regarde un couple (présumé non déficient) s’embrasser passionnément pendant un long moment. Le couple s’en rend compte et l’homme l’éclabousse et lui dit « Allez dégage ! » d’un ton grossier, indiquant une agressivité démesurée face au caractère bénin de la situation. La scène traduit également le désir d’intimité de Rosette, sensibilisant ainsi le public à sa sexualité, sujet relativement tabou lorsque lié aux personnes intellectuellement déficientes.
Les similarités entre Rosette et Henri sont apparentes dès leur première rencontre, étant tous deux d'un tempérament calme. Henri ne spectacularise pas la déficience de Rosette, la traitant tout au long du film de la même manière que ses employé.e.s ainsi que ses client.e.s et ses ami.e.s non déficient.e.s. Lors de leur première rencontre, il lui fait visiter le petit restaurant et lui montre ce qu’elle doit faire, se comportant tel un mentor et adoptant un discours fondé sur l’action qui semble être le mieux adapté à Rosette du fait de sa tranquillité (elle parle peu dans le film, tout comme Henri). Plus tard, ils s’enfuient ensemble et se trouvent au milieu d’une fête foraine, mais semblent tous deux trop effrayés pour prendre part aux festivités, les traits anxieux de leur visages soulignés au sein d’un même plan. Le fait que les deux personnages aient une disposition calme et partagent une appréciation pour la nature et les animaux s’éloigne ainsi d’une vision binaire de la déficience qui s’opposerait à la non déficience.
Henri met également en scène le quotidien de personnes intellectuellement déficientes en Belgique et des services et programmes sociaux qui leurs sont offerts. Le film ne présente pas de constats généralisants sur toutes les personnes intellectuellement déficientes, car le public à un bref aperçu sur d’autres personnages intellectuellement déficients avec lesquels Rosette vit. On aperçoit dans plusieurs scènes un couple avec la trisomie-21 s’embrassant et s’enlaçant, normalisant ainsi les relations intimes entre les personnes déficientes, ainsi qu’un autre personnage déficient qui demande à Rosette « un bisou », qu’elle lui accorde de son plein gré. À ce titre, l’existence de Rosette est normalisée, elle n’est pas spectacularisée ni représentée sous le prisme de la dépendance ou du "manque" par rapport à Henri du fait de sa déficience intellectuelle. Elle n’est pas non plus entièrement définie par sa déficience, malgré les difficultés qui y sont associées. Rosette est calme, romantique, elle aime les animaux et la nature, chanter, est douée à l’origami, et sait communiquer en Langage des Signes. Elle est également indépendante lorsqu’elle se retrouve dans un environnement qui lui est familier, et le film sensibilise le public à son quotidien et à l’étendue de ses capacités. Son quotidien est normalisé car fondé sur un sentiment d’appartenance à la communauté : Rosette et les autres personnages déficients mangent ensemble dans une grande salle à manger, partagent des chambres à deux, décorent leur propre chambre, etc. L’existence de l’association des Papillons Blancs dans une petite communauté de Belgique fonctionne tel un microcosme fondé sur le principe d’une société équitable, du fait que l’association offre des services à des adultes déficients plus vulnérables tout en encourageant leur indépendance. L’association offre également des services d’insertion professionnelle qui valorisent l’interdépendance entre la communauté intellectuellement déficiente et des commerces ayant besoin de main-d’œuvre, comme c’est le cas avec Rosette. À cet égard, la vision proposée de l’insertion professionnelle des personnes déficientes n’est pas superficielle, puisque Rosette contribue réellement à la société dans un rôle adapté à ses capacités cognitives. La représentation de la déficience intellectuelle dans le film est donc foncièrement optimiste, dépeignant une société fondée sur le principe d’équité et à laquelle tous les individus peuvent contribuer
Les difficultés cognitives de Rosette ne sont pas représentées comme un frein à sa qualité de vie : elle est souvent souriante, a une personnalité romantique, exerce un emploi, et participe à des activités sociales comme jouer dans une pièce de théâtre, danser en boite de nuit, etc.
Le film peint également un portrait réaliste de la déficience cognitive, ne voilant pas les complications qui peuvent émerger entre les personnes intellectuellement déficientes et celles sans déficience d’intellect. Rosette semble avoir des problèmes de mémoire et/ou des difficultés à effectuer plusieurs tâches à la fois, comme lorsqu’elle se perd, ou bien lorsqu’elle se trompe avec la commande d’un client au restaurant et que celui-ci se plaint à Henri. Bien que ses lacunes cognitives soient mises en lumière dans cette dernière scène, elles ne sont pas spectacularisées. En effet, Henri ne réprimande pas Rosette, sachant qu’il s’agit simplement d’une de ses difficultés, et il s’y adapte en adoptant une approche décontractée. Le public est ainsi encouragé à partager le point de vue d’Henri, étant également sensibilisé aux réactions et au processus cognitif de Rosette à travers des gros plans sur les expressions de son visage.
Les implications éthiques de la relation entre Henri et Rosette sont également explorées en détails, plus particulièrement lorsqu’une rumeur que Rosette est enceinte circule au sein de la communauté (y compris dans le foyer). Rosette ne semble pas comprendre les implications de cette rumeur car elle "confirme" qu’Henri est le père. Lorsque Rosette révèle cela aux autres résidents adultes du foyer, ceux-ci commencent à taper sur les tables tout en répétant « j’veux du cul » à l’unisson. Le film met ainsi en lumière une des caractéristiques spécifiques de la déficience intellectuelle, à savoir la difficulté à interpréter les normes sociales. Le film met en images ces aspects de la déficience intellectuelle sans pour autant porter un jugement moral sur de tels comportements.
Henri soulève ainsi plusieurs points importants quant aux relations entre les personnes déficientes et celles non déficientes, tels que la responsabilité collective de protéger ces individus potentiellement plus vulnérables, et explore également l’équilibre entre cette responsabilité et l’autodétermination d’un individu ayant une déficience intellectuelle.