Tous les dieux du ciel (Quarxx, 2018)

Résumé du film

Simon, 30 ans, ouvrier métallurgique, mène une existence solitaire dans une ferme décrépite de la campagne française. Il consacre son temps à travailler dans une usine et à s'occuper de sa sœur, Estelle, devenue paraplégique et muette à la suite d'un accident lorsqu'elle était plus jeune. Simon rencontre Zoé, jeune fille précoce de 11 ans qu’il présente à Estelle afin qu’elle lui tienne compagnie. Simon devient de plus en plus paranoïaque, convaincu qu’un évènement cosmique cataclysmique va se produire et que des êtres mystérieux vont venir les enlever.

Pays de production: France

Tous les dieux du ciel affiche
Date de sortie
2019-07-09
Genre cinématographique
Principal ou Second Rôle
Second Rôle
Analyse

Présentation du/des personnage(s) déficient(s)
Estelle, 27 ans, est devenue paraplégique et muette à la suite d’un accident avec une arme à feu lorsqu’elle avait environ 9 ans. Elle est entièrement dépendante de son frère Simon pour les tâches du quotidien: se laver, s’habiller, se nourrir, se déplacer, etc. Elle est confinée dans son lit la plupart du temps, Simon ne la laissant que très rarement s’asseoir dans son fauteuil roulant. Estelle est chauve, ses ongles sont coupés court, et elle a une cicatrice rouge proéminente sur tout le côté gauche de son visage, suite à son accident. D’autres individus avec des déficiences non spécifiées sont hébergés dans un couvent. Simon est renvoyé de son travail car il souffre d’un trouble psychiatrique non spécifié.
 
Regard porté sur la déficience
Tous les dieux du ciel s’approprie les genres de la science-fiction et de l’horreur pour explorer les effets nuisibles de la dépendance dans une relation entre un homme et sa sœur. Il convient de noter que la cinématographie et le jeu des acteurs transmettent un sentiment d’effroi omniprésent qui découle aussi de la représentation de la déficience. L’actrice incarnant Estelle a une forme de dysplasie ectodermique, un syndrome génétique qui affecte le développement des cheveux, des dents, et des ongles. D’une part, l’incarnation du personnage déficient par une actrice avec une déficience génétique atteste d’une tentative d'apporter une authenticité au personnage. Cependant, le recours permanent à l'imagerie du body horror[1] et l’absence d’aperçu approfondi sur la déficience ainsi que sur le vécu d’Estelle résultent en un film dont les objectifs sont confus. Le fatalisme attribué à la déficience déshumanise le personnage d’Estelle, car tout l’enjeu du film semble se concentrer sur l'idée d'un châtiment d'orde divin ou cosmique par rapport à l’accident qui a mené à la paraplégie et au mutisme d'Estelle. En effet, à la fin du film, Simon, qui est devenu de plus en plus paranoïaque, est convaincu que des extraterrestres vont les enlever le jour de l’anniversaire d’Estelle, et il se tire une balle dans le visage afin de se défigurer de la même façon qu’il a défiguré sa sœur par accident vingt ans plus tôt. Suite à cet incident, Estelle est miraculeusement guérie et réapprend lentement à marcher toute seule. Bien qu’il se focalise sur l’autonomie croissante d’Estelle dans son dernier tiers, la représentation de la déficience nous paraît problématique dans ce film, en ce qu'elle sert essentiellement d'enjeu scénaristique, et n'a pas pour but de nous offrir une vision plus juste et/ou intime de la déficience. 
Estelle est imberbe (sans poils, sourcils ou cheveux), caractéristique physique qui la marque d'emblée comme "différente", d'autant plus que  les flashbacks nous la montrent à l’âge de 9 ans, avec des sourcils et de longs cheveux bruns. Peu après l’accident elle est chauve et porte un halo orthopédique (ou veste de Halo) qui immobilise sa tête, son coup, son torse et sa colonne vertébrale. Estelle a de nombreux bleus et cicatrices sur son corps, elle bave, et elle a parfois des restants de nourriture autour de sa bouche. Le film s’attarde souvent la nudité du corps du personnage, mais il nous semble important de noter ici que, d’un point de vue technique, le maquillage consistant à reproduire les cicatrices sur le visage d'Estelle n’est pas appliqué de manière uniforme et apparaît comme visiblement faux. De plus, la mise en scène participe à une sursignification de la déficience physique du personnage, et ce des les premières images. En effet, la scène où nous découvrons Estelle adulte est filmée en caméra subjective, reproduisant le point de vue d'Estelle, qui se tient dans l’embrasure de la porte. Nous voyons Zoé fixer Estelle sans bouger, bouche bée, tandis que Simon se tient à ses côtés, observant Estelle de manière stoïque et détachée, et ne lui adressant pas la parole. La caméra effectue ensuite un panoramique depuis leurs visages jusqu'à celui d’Estelle, et une musique angoissante se fait alors entendre. La mise en scène a clairement pour fonction ici de "dramatiser" la présence d'Estelle et d'en faire un être "à part", et ce en raison de son apparence physique. 
Du fait de sa paralysie et du peu de liberté que Simon lui offre, Estelle exerce très peu d’autodétermination, et le point de vue de Simon éclipse totalement le sien dans les deux premiers tiers du film. Estelle est essentiellement perçue par le prisme de sa déficience et sa dépendance envers Simon. Simon dit notamment à plusieurs reprises que cela fait vingt ans qu’il s’occupe d’Estelle sans aide, tout en exerçant son métier d’ouvrier à temps plein. De tels propos, associés au fait que le film ne nous donne pas accès au vécu et à la sensibilité d'Estelle, tendent à fire de celle-ci un pur objet de soins, ce qui amène le public à sympathiser avec Simon, au détriment d’Estelle. La dépendance de cette dernière vis-à-vis de Simon est d'ailleurs présentée comme un fardeau pour lui dès la première scène du film, lorsqu’Estelle se salit et que Simon se met en colère et lui dit : « Tu peux pas attendre de finir de manger tout de même ! », s’emparant brusquement d’une couche pour la changer. Le plan suivant nous montre Estelle nue, allongée sur le côté, son corps filmée en gros plan tandis que Simon la nettoie. Le cadrage sur son corps nu dans un contexte où le personnage n’exerce aucune autodétermination, ainsi que le ton et les propos insultants et dénigrants qu’utilise Simon concourent à déshumaniser Estelle, associant de la honte à sa paralysie et à sa dépendance.
Malgré cela, certaines scènes s’éloignent d’une vision stigmatisante d’Estelle, principalement lorsque le récit se concentre sur la relation qui se noue entre elle et Zoé, avec qui elle développe une amitié malgré leur différence d’âge. Zoé tient souvent compagnie à Estelle et semble sincèrement apprécier son amitié (« J’suis trop contente d’avoir une copine comme toi »). Plus important encore, Zoé ne perçoit pas uniquement Estelle par le prisme de sa déficience et la traite comme une amie. Le public est alors amené à partager le point de vue empathique de ce personnage jeune et innocent qui se sent seul et qui traite Estelle avec respect. C’est à travers Zoé que le public est encouragé à considérer l’importance de la compassion et d’une relation interdépendante (plutôt que de dépendance) pour le personnage paraplégique et muet. Cette relation est à l'opposé de celle entre Estelle et Simon et a pour effet de normaliser l’existence d’Estelle à l’écran, comme lorsque Zoé apporte son maquillage à la ferme un jour pour « jouer à la maquilleuse » avec Estelle et qu’elle lui met du maquillage « pour faire comme une princesse ». La compassion de Zoé apporte une forme de légèreté à leur relation ainsi qu'à l’existence d’Estelle, cette dernière n'étant plus uniquement perçue comme objet de soins. De plus, le gros plan sur le visage ému et larmoyant d’Estelle sensibilise le public à sa gratitude lors de cette scène.
 

[1] Sous-genre de l’horreur qui se concentre sur les limites du corps humain (et ses capacités à se transformer). (Cardin, Matt. (2017). Horror Literature Through History: an Encyclopedia of the Stories That Speak to Our Deepest Fears [2 Volumes]. Santa Barbara, California : Greenwood.)