Le Cerveau d'Hugo (Sophie Révil, 2012)
Hugo, vingt-deux ans, est un génie du piano diagnostiqué autiste Asperger. Introverti et solitaire, Hugo est fasciné par la musique, une passion dont il a fait son métier. Enfant, il ne parle pas, mais hurle sans cesse. Il est scolarisé, mais est renvoyé de son école et placé dans un hôpital de jour pour enfants à cause de problèmes de comportement. Sa mère arrive à le réintégrer à l’école et découvre un jour qu’Hugo est un surdoué du piano et qu’il à l’oreille absolue, étant capable de répliquer parfaitement au piano des morceaux de musique qu’il entend.
Pays de production: France
Présentation du/des personnage(s) déficient(s)
Hugo est autiste Asperger, que l’on appelle aussi "autisme de haut niveau" dans le film. Il est un amalgame fictif de toutes les personnes autistes réelles interviewées dans la partie documentaire du film. Le personnage rencontre de nombreuses difficultés liées à l’autisme, comme la maladresse sociale et une hypersensibilité audiovisuelle, mais il a également des capacités que les autistes réels interviewés dans la partie documentaire ont en commun, comme l’oreille absolue et une facilité à mémoriser des informations sur leur domaine d’intérêt propre. L’amie d’Hugo, Capucine, est elle aussi sur le spectre de l’autisme.
Regard porté sur la déficience
Le Cerveau d’Hugo soulève les points de vue d’adolescent.e.s français.e.s autistes et de leurs parents neurotypiques, ainsi que le point de vue d’adultes autistes. Cette structure narrative permet d'offrir une vision globale des différentes perceptions de l’autisme, de l’enfance à l’age adulte, grâce notamment aux parents qui facilitent la communication avec leurs jeunes enfants. Le film se focalise sur les manquements de la société française dans sa prise en charge de l'autisme, des années 90 au début des années 2010, mettant particulièrement l'accent sur les lacunes des systèmes scolaire et de santé, mais aussi la société de manière globale, quia tendance à stigmatiser les personnes autistes en les définissant comme « trop différentes ». Le film retrace également l’historique du diagnostique de l’autisme, offrant par la même occasion une critique du traitement déshumanisant des autistes adopté par le système de santé. Le film semble insinuer qu'une telle approche prévaut encore aujourd'hui, et souhaite mettre en avant une approche plus "humaine" et égalitaire, et plaide pour une meilleure intégration des personnes autistes dans la société. Il atteint son objectif du fait qu'il inclut au sein de son récit des témoignages de personnes autistes issues de classes sociales variées.
Les personnes autistes interviewées ont entre cinq et cinquante ans, et les témoignages des adultes autistes, qui se focalisent sur l’amour, la socialisation, et le regard infantilisant que les autres posent sur eux, reflètent l’inquiétude des parents quant aux difficultés liées à l’autisme dans la vie en société, notamment les questions liées à l’indépendance et à la solitude. Le film véhicule également le point de vue d’adolescentes et de femmes autistes, une démographie rarement représentée, tant dans les films "grand public" que dans des œuvres documentaire traitant de l'autisme.
Le film s’articule autour de plusieurs thématiques liées à l’autisme qui peuvent aussi être appliquées à la déficience de manière plus globale. Il s'attache à mettre en avant la perception que les personnes autistes ont d'elles-mêmes ainsi que d’autres personnes autistes, mais également la manière dont elles abordent leur quotidien d’un point de vue sensoriel et émotionnel. Cette oeuvre, à mi-chemin entre le documentaire et la fiction, souhaite donner un aperçu global de l’autisme, et sa division en cinq parties a pour but de couvrir le spectre de l’autisme. Chacune des parties comprend des témoignages courts de quatre ou cinq personnes autistes, et la thématique du segment est ensuite "mise en scène" dans une reconstitution fictionnelle. Bien que le film valorise le point de vue des personnes déficientes pour construire le personnage fictif, il manque cependant de diversité dans ses témoignages, toutes les personnes autistes exprimant sensiblement les mêmes problématiques.
Le film critique les hôpitaux de jour, instituts pour "enfants difficiles" dans lesquels plusieurs des adultes autistes interviewés ont vécu durant leur enfance. Dans la reconstitution qui en est faite, Hugo (qui a un peu près huit ans) est placé dans un établissement psychiatrique car il crie et fait des bruits en classe qui dérangent et distraient les autres élèves. À l’hôpital, sa scolarité est interrompue et il n’a rien a faire. Il semble alors "régresser" (il se traîne par terre et se tape sur la tête), reproduisant les comportements d'autres enfants eux aussi dans l'hôpital de jour et que le film présente comme ayant des formes de déficiences plus sévères. Mentionnons ici que c'est principalement le regard porté par certains adultes autistes eux-mêmes qui amènent le public à établir une "hiérarchie" entre les personnages autistes. Cette différentiation qu’intériorisent les adultes autistes constitue selon nous une forme particulière de capacitisme, sur laquelle le film ne se positionne malheureusement pas. Le Cerveau d’Hugo véhicule ainsi le message que les manifestations moins "visibles" de l'autisme peuvent être moins préjudiciables et donc moins "tabou". Cela participe selon nous part d’une vision déshumanisante de l’autisme, ce qui a pour conséquence de créer une distance entre le public et les personnes autistes.
Le film évoque également la notion de déficiences "visibles" et "invisibles", concepts liés à la "sévérité" perçue de la déficience. Plusieurs adultes autistes dans la partie documentaire disent en effet se sentir jugés et ostracisés car ils ne sont pas "visiblement déficient" (« les personnes en chaises roulantes on les jugent pas »). Le film souligne ici l’absence d’un effort de sensibilisation et de démocratisation des déficiences "invisibles", mais n’explore pas cette problématique de manière plus approfondie. Il évoque cependant comment la notion de "sévérité" est liée à la conception actuelle que se fait la société de l'autisme, et qui se traduit dans le fait que les services adaptés aux personnes déficientes prennent la validité comme norme.
Bien qu’il ne spectacularise pas l’autisme et qu’il tente de nous sensibiliser aux différentes réalités des personnes autistes, le film semble véhiculer une dichotomie entre les personnes autistes et les personnes "neurotypiques", tant sur le plan visuel que dans les propos des personnes autistes interviewées. Un autre point faible du film est le langage utilisé pour se référer à l’autisme. Dans un extrait, la narratrice décrit l’autisme comme un "manque" de "raison", de "fonctionnement", de "contrôle" et de "régulation émotionnelle" : « [Chez les personnes autistes], la partie du cerveau qui nous permet de contrôler notre comportement en inhibant notre cerveau émotionnel est moins développée. Prendre des décisions raisonnables et faire des choix est beaucoup plus difficile ». Elle prend donc la "norme" et la "validité" comme points de référence, décrivant le comportement, la physionomie, et la neurologie d’Hugo comme fondamentalement "différentes" des personnes "non déficientes". En outre, la personnalité ainsi que le comportement d’Hugo sont caractérisés comme étant "inférieurs", le langage employé laissant sous-entendre qu’il est moins "raisonnable" et "développé" que les personnes neurotypiques. Cet extrait le prive également de son autonomie, car Hugo est entièrement défini par le diagnostic de l’autisme.
De plus, en concentrant les témoignages des différentes personnes autistes interviewées en un seul personnage, et en dépeignant le comportement et les sensibilités d’Hugo comme identiques quelle que soit la situation, le film véhicule l'idée que tous les autistes sont les mêmes. Le film néglige donc l’expérience individuelle, sensorielle et émotionnelle de la communauté autiste, leurs besoins divers et fluctuants, et nous met face à une représentation de "handicap" qui sur signifie la dichotomie autiste/neurotypique.
Le Cerveau D’Hugo souffre de simplification et d'un manque de cohésion entre ce qui est dit (dans la partie documentaire) et ce qui est représenté (dans la partie fiction). Par exemple, le film fait preuve d'un manque d’empathie et d’écoute des autistes interviewés car il y est fait un usage récurrent du terme "handicap" malgré le fait qu’une grande partie des autistes dans le film considèrent ce terme comme "insultant". Aussi, bien que la partie documentaire mette en lumière les rapports déshumanisants qu’ont les personnes neurotypiques envers les autistes, le langage utilisé pour décrire Hugo dans la partie fiction sursignifie sa différence en tant qu’autiste, prenant la validité/la norme comme mètre étalon en soulignant ce qu’il ne peut pas faire. Ironiquement, la partie fiction perpétue par le biais des images une représentation limitante de l’autisme que les autistes critiquent dans la partie documentaire.