Sur mes lèvres (Jacques Audiard, 2001)

Résumé du film

Carla Bhem, une femme de 35 ans qui porte des prothèses auditives, est secrétaire à la Sédim, une agence immobilière. Timide et payée une misère, elle souffre d'un manque de considération de la part de ses employeurs. Son existence triste et solitaire va prendre une tournure différente avec l'arrivée dans la société de Paul Angéli, une nouvelle recrue de 25 ans, plutôt beau garçon, mais qui n'a aucune compétence dans la promotion immobilière. Celui-ci cherche à se réinsérer après avoir fait de la prison, mais il est poursuivi par une bande à qui il doit de l’argent. Lorsqu’il découvre que Carla peut lire sur les lèvres, Paul l’implique dans son plan : voler un petit malfrat pour qui il travaille la nuit. Une histoire d'amour improbable, doublée de manipulation réciproque, va naître entre ces deux marginaux.

Pays de production: France

Sur mes lèvres affiche
Type de déficience
Date de sortie
2001-10-17
Genre cinématographique
Principal ou Second Rôle
Principal
Analyse

Présentation du/des personnage(s) déficient(s)
Carla, personnage principal, est malentendante. Elle porte des prothèse auditives transparentes qu’elle cache derrière ses cheveux, et elle s’exprime oralement ainsi qu’en Langue des Signes. Les appareils auditifs de Carla créent des interférences sonores fréquentes sous formes de sons aigus et présumés douloureux, et Carla retire souvent ses appareils lorsqu’elle est seule.

Regard porté sur la déficience
Même si la capacité de Carla à lire sur les lèvres va lui permettre de venir en aide à Paul, Sur mes lèvres présente initialement la malentendance comme un fardeau, surtout au début du film, puisque Carla le ressent comme tel. Puis, avec l’arrivée de Paul, Carla prend confiance en elle et accepte sa déficience. Paul, la première personne au travail à qui elle révèle qu’elle est sourde, ne la juge pas, et il voit surtout la déficience de Carla comme pouvant lui être utile dans son plan visant à cambrioler son patron. Malgré le fait que Paul ne la perçoive que par le biais de sa déficience au début du film, cette "exploitation" est réciproque et équilibrée, puisque Carla en est consciente et utilise aussi Paul pour rendre ses amies jalouses, leur faisant penser que Paul est son petit-ami.
Carla prend confiance en elle lorsque la perception qu'elle a de sa déficience évolue et n'est plus perçue comme un poids, ou un marqueur de sa "différence". Le film offre une représentation nuancée de la déficience, car il dépeint un personnage imparfait qui, pour des raisons inconnues, vit mal sa déficience au début du film. La mise en scène indique d'ailleurs à plusieurs reprises que Carla a "honte" de sa déficience: elle dissimule ses appareils auditifs le plus possible derrière ses cheveux, puis lorsqu’elle éteint ses appareils auditifs à plusieurs reprises dans le film, elle le fait discrètement, craignant d’être remarquée. Dans une autre scène, au restaurant, Carla se fait aborder par un sourd qui signe et lui propose de signer une pétition, mais elle décide de l’ignorer puis, devant son insistance, se résigne à signer rapidement avec lui. La scène n’est pas sous-titrée, mais l’on devine que Carla le congédie poliment mais fermement, comme si elle répugnait à être vue avec lui et/ou signant. Cette réticence peut être due au fait que la communication en langue des signes rend sa déficience "visible". Carla se vexe quand son amie émet l’hypothèse qu’elle le connait et lui répond abruptement : « Non, pourquoi, parce qu’il est sourd ? ». Si la raison de cette honte n’est jamais révélée, et Carla n’est jamais victimisée à cause de sa déficience dans le film, ce qui rend difficile pour le public de sympathiser avec elle et de la comprendre au début.
Le film a également recours à des effets plus subtils pour nous sensibiliser au fait que Carla perçoit sa déficience comme un attribut négatif qui la singularise et la sépare du monde de celles et ceux ne faisant pas l’expérience de la déficience. Au début du film, Carla fait tout pour intégrer "le monde des entendants": lorsqu’elle signe, elle le fait comme dernier recours et semble gênée. En contraste, à la fin du film, Carla est fière de sa surdité, car celle-ci l'a sortie de sa vie monotone et lui a ouvert un monde excitant. On voit cela dans une scène au club vers la fin lorsque Paul et Carla cambriolent le patron de Paul : Carla ne cache plus ses appareils derrière ses cheveux et elle dit à Paul, d'une voix forte pour se faire entendre (à cause de la musique, mais aussi parce qu'elle ne se soucie plus du regard des autres), « j’ai enlevé mes appareils j’entend rien! ».
La perception qu'elle a d'elle-même se transforme avec l’arrivée de Paul ; elle lui dit notamment qu’elle est sourde de façon directe et brusque. Paul est la première personne à qui elle révèle cette information, malgré le fait qu’elle travaille chez Sédim depuis 3 ans. Paul s’intéresse à elle lorsqu’elle lui révèle cela et lui propose d’espionner son patron afin de planifier un braquage. Le film nous offre un aperçu du vécu et des capacités sensorielles de Carla lorsque Paul la "teste" en lui demandant de décrypter les conversations de leurs collègues à la cafétéria : elle déchiffre avec détachement les propos sexistes que ses collègues font sur elle, de l’autre côté de la salle. Paul est impressionné, et Carla prend confiance en elle au fur à mesure de leur "collaboration". 
Paul et Carla entretiennent une relation de manipulation réciproque : Carla l’utilise pour se vanter devant ses ami.e.s, et Paul l’utilise pour espionner son patron. Carla se positionne sur un toit et lit sur les lèvres et notant ce qui est dit à l'aide un cryptogramme qu’elle a développé afin de pouvoir écrire plus vite. Ses capacités à lire les lèvres sont particulièrement mises en avant dans cette scène, puisque les hommes se déplacent beaucoup et sont nombreux, et Carla parvient quand même à déchiffrer leur conversation. Il aurait cependant été intéressant que le film se concentre davantage sur cet aspect "pratique" lié à la déficience, car les raisons pour lesquelles Carla a créé ce cryptogramme ne sont jamais explicitées. Cela aurait par ailleurs permis de donner un meilleur aperçu des méthodes de communication alternatives développées par le personnage sourd. Par ailleurs, bien qu'elle soit consciente que Paul se sert d'elle, Carla se sent valorisée par le fait qu'on a besoin d'elle en raison de sa déficience. Cela va servir de déclencheur dans le changement de regard qu'elle va porter sur sa surdité. La déficience joue donc un rôle important dans le cheminement intérieur du personnage et la découverte de ses capacités, ce qui lui permet de s’épanouir et de vivre des moments excitants, quoique dangereux.
L’apparence physique de Carla évolue également en même temps qu’elle prend confiance en elle et dans sa capacité à lire sur les lèvres : elle passe d’une coiffure dissimulant ses oreilles et une partie du visage dans la première moitié du film à des coiffures plus relevées sur les côtés du visage dans la deuxième moitié du film.
Bien qu'une scène nous fasse ressentir l'inconfort des appareils auditifs de Carla, lorsque ces derniers interfèrent avec la ligne téléphonique (la bande son reproduit le grésillement désagréable entendu par Carla), le fait qu’elle soit secrétaire et puisse occuper un poste à responsabilité va à l’encontre des stéréotypes généralement associés aux personnes malentendantes. Au cours du film, nous voyons Carla répondre au téléphone, rediriger des appels, faire des photocopies, participer à des réunions, etc. Dans une scène où Carla gère le personnel sur un chantier de construction, les bruits du chantier sont amplifiés afin de nous immerger dans son vécu auditif en illustrant la manière dont le bruit crée une hyperstimulation auditive, ce qui l’empêche de communiquer avec les autres personnages et de faire correctement son travail. 
La mise en scène cherche à plusieurs reprises à nous sensibiliser à la malentendance de Carla. Cette sensibilisation se fait principalement par le biais d'un travail sur la bande son, qui consiste en une diminution du volume sonore lorsque Carla enlève ses appareils auditifs (pour ne pas entendre un bébé qui pleure, pour ne pas être assourdie dans une boîte de nuit, etc.). En revanche, on devine que la malentendance de Carla la pousse à faire une fixation sur d’autres sens, notamment le toucher et l’odorat. Lors d’une scène à la cafétéria de son travail, le son est atténué et Carla observe attentivement deux employés se toucher les mains de manière affectueuse. Son intérêt est visuellement traduit par des gros plans sur les mains et le mouvement des doigts qui se touchent. Carla demande d’ailleurs par la suite que son nouvel employé ait « de belles mains ». Les mains de Carla et Paul sont également "connectées" lors de plans courts où l’on voit celles de Carla sur la photocopieuse en gros plan puis celles de Paul, également filmées en gros plan, qui dort encore. Dans une autre scène, Paul recouvre la bouche de Carla pour la faire taire lorsqu’il se cachent des hommes qui recherchent Paul. 
Sur mes lèvres nous amène à questionner l’impact que sa déficience a sur la perception que Carla se fait d’elle-même. Sa déficience a-t-elle joué un rôle décisif dans sa construction identitaire, ou bien sa personnalité serait-elle identique sans sa déficience ? En d’autres mots, quelle part joue sa déficience dans son approche de la vie et son rapport aux autres ?