Le Goût des merveilles (Éric Besnard, 2015)

Résumé du film

Au cœur de la Drôme provençale, Louise, veuve, élève seule ses deux enfants et tente de préserver l’exploitation familiale agricole qu’elle a hérité de son époux. Un soir, sur la route, elle heurte un homme, Pierre, avec sa voiture. Pierre s'adapte très vite à Louise et à son environnement, refusant de partir de chez elle. Il est recherché car il a piraté le site du gouvernement et les autorités veulent l’interner dans un établissement psychiatrique. Pierre et Louise apprennent à co-habiter ensemble, et tombent finalement amoureux.

Pays de production: France

Le Gout des Merveilles Affiche

 

Type de déficience
Date de sortie
2015-12-16
Genre cinématographique
Principal ou Second Rôle
Principal
Analyse

Présentation du/des personnage(s) déficient(s)
Pierre, un homme dans la trentaine, est autiste Asperger. Il est très organisé, a une excellente mémoire et est doué aux échecs et en comptabilité. Il fait cependant preuve de maladresse dans les situations sociales, mais ne semble pas pour autant souffrir d’anxiété sociale. Pierre tombe amoureux de Louise, sentiments qui sont partagés, et c’est lui qui sauve le commerce familial grâce à ses aptitudes en compatibilité.

Regard porté sur la déficience
La déficience de Pierre demeure un enjeu pendant la première moitié du film, de sorte que son comportement est constamment analysé afin de découvrir la raison de ses "excentricités". L’autisme de Pierre n’est pas représenté comme un "manque" ou un signe d’"infériorité", bien au contraire, puisque ce sont ses aptitudes en comptabilité qui vont sauver l'exploitation agricole de Louise. Cependant, la représentation du personnage faite par le film emprunte selon nous au stéréotype de l’autiste savant en ce que le film réitère constamment que Pierre n’est "pas comme les autres". Cela établit donc une distance entre le public et le personnage, ce qui est renforcé par le fait que, dans la première partie du film, le film ne cherche pas à nous sensibiliser aux émotions ou au vécu de Pierre. La première fois que Pierre apparaît à l’écran, il traverse la route imprudemment et manque de créer un accident. Son apparence est également floutée du fait de la mise en scène qui cherche à créer une atmosphère mystérieuse autour du personnage, que l’on confond tout d'abord avec un animal sauvage. Ce choix visuel établit d'emblée sa "différence", et il conservera cette aura de mystère tout au long du film, au détriment de son développement personnel, car cela prend le pas sur notre compréhension de son vécu.
Pierre excelle aux échecs, en comptabilité, et en informatique, et il a aussi une excellente mémoire. C’est Jules (le mentor de Pierre), qui apporte des explications sur le comportement de Pierre à Louise lorsqu’elle l’interroge à ce sujet. Jules définit Pierre entièrement par rapport à son autisme, et perpétue une vision "idéalisé" de l’autiste comme fondamentalement différent et "supérieur" à la majorité des personnes. Dans une scène, Jules dit de Pierre : « Il est honnête, fiable, fidèle, il ne ment jamais, n’a aucun intérêt pour l’argent, et il ne veut de mal à personne. En effet, il est différent de la plupart des gens ». Ces propos s'inscrivent dans une représentation binaire de l’autisme comme un état fondamentalement différent par rapport aux individus neurotypiques, et présume que tou.s.tes les autistes ont les mêmes expériences de vie, niant ainsi la diversité des vécus. Cette différentiation entre Pierre et "les autres" correspond en cela à une représentation stéréotypée de l'autisme. En effet, le vécu de Pierre n’est jamais exploré, le film offrant à la place un aperçu partiel et subjectif de l’autisme tel qu’il est décrit par certains personnages non déficients, et non par le personnage lui-même.
Un aspect positif à prendre en considération concerne la relation entre Jules et Pierre, et le fait que Jules connaisse Pierre depuis l'enfance. Il offre ainsi une compréhension plus intime et réaliste de l’autisme de Pierre, et encourage ce dernier à s'épanouir à son rythme. Il dit notamment que Pierre « aime classer les livres à sa manière et qu’il sait où se trouve chaque livre dans la bibliothèque ». C’est à travers l’exploration de cette relation que le film met en avant l’acceptation des autistes dans la société sans injonction de mimétisme avec les personnes non déficientes.
Le film présente aussi parfois une vision plus spécifique de l’autisme, plus particulièrement dans la relation qui se noue entre Louise et Pierre. Jules explique notamment à Louise que, « quand il [Pierre] aime, il pince ». Le film établit ainsi dès le début que Pierre n’aime pas être touché, et le public le voit rarement jamais toucher un autre personnage. Bien que la raison de cette aversion au toucher ne soit pas mentionnée, elle peut être due à son hypersensibilité (dont Jules fait par ailleurs mention dans une autre scène du film). Louise ne force jamais Pierre à se plier aux normes sociales d’affection : une fois qu’elle comprend que Pierre n’aime pas être touché, elle ne le force pas. Leur relation n’est donc pas représentée sous un prisme normatif. Aussi, la relation entre Louise et Pierre valorise leur interdépendance : Pierre aide Louise à élever ses enfants et à résoudre ses problèmes financiers et, en retour, Louise loge Pierre et l’aime comme il est.
Le film souligne cependant visuellement la différence entre Pierre et les autres personnages non déficients dans les scènes au sein desquelles il interagit avec eux. Ces scènes mettent en avant une vision relativement binaire de l’autisme qui caractérise Pierre comme étant fondamentalement "différent". Cette "différence" est d'ailleurs souvent réitérée. Bien que Jules en fasse la raison pour laquelle Pierre est soi-disant « moralement supérieur » aux neurotypiques (« Il est honnête, fiable, fidèle », etc.), cette vision est limitante et néglige la diversité du vécu du personnage autiste. Lorsque l’ex de Louise - qui nous est présenté comme rival romantique - rencontre Pierre pour la première fois, Paul tend la main et se présente, « Paul ». Pierre répond «  Pierre, j’aime pas Paul ». Paul s’énerve et dit, « Non, Paul, c’est moi » et Pierre répète, « J’aime pas Paul ». Cette scène sursignifie l’inadaptation sociale de Pierre par le biais d'un dialogue rapide et un jeu de mots à des fins humoristiques, au détriment d’une meilleure compréhension de la manière dont Pierre fait l'expérience des interactions sociales.
À cet égard, que cela soit sur le plan visuel ou narratif, le film ne prend pas en considération le ressenti du personnage déficient. Comme il a déjà été mentionné, Pierre pince Louise à plusieurs reprises, ce qui constitue un comportement inhabituel. Or, ce n'est pas Pierre qui explique la raison d'un tel comportement, mais Jules. Bien que de telles scènes renvoient à la réalité du quotidien de Pierre, et que le film cherche ainsi à mettre en avant les difficultés de communication liées à l’autisme, ce n'est jamais Pierre qui prend la parole pour exprimer son vécu, mais des personnages connexes.
Deux scènes cherchent néanmoins à mieux nous faire comprendre la surstimulation sensorielle de Pierre ; tout d'abord, lorsque Louise et Pierre manquent de heurter un camion, et une deuxième fois lorsque Pierre entre dans un bar bondé et qu’il devient surstimulé par la musique forte et l’éclairage. La première scène se déroule au ralenti, le son est en sourdine puis étouffé et une sonnerie aiguë se fait entendre afin de retranscrire la désorientation de Pierre qui est causée par sa surstimulation sensorielle. Dans la scène suivante, la psychiatre se rend chez Jules et explique qu’elle recherche Pierre afin d’ « évaluer les risques de récidive » ainsi que « le cadre de vie dont il a besoin ». En mettant ces deux scènes l'une à la suite de l'autre, le film établit implicitement un lien entre la crise de panique de Pierre - qui survient suite à un évènement traumatique - et la question de la "récidive". Les conclusions qui en sont tirées déshumanisent le personnage de Pierre en ce qu'elles stigmatisent cet aspect de l’autisme, présentant les crises de panique comme une chose dont il faut se débarrasser ou dont il faut avoir honte. Pierre est donc ici présenté comme "inadapté" aux normes de société, et doit alors être "réhabilité"  afin de pouvoir de nouveau s'intégrer en société.
La deuxième scène tente quant à elle de retranscrire par le visuel ce que ressent Pierre émotionnellement et du point de vue sensoriel, afin que le public puisse être sensibilisé aux raisons pour lesquelles il réagit différemment au stimuli. Cette scène met en évidence les difficultés vécues par Pierre sans en faire pour autant un signe d’"infériorité". 
Le film se termine sur une critique du système psychiatrique qui, pour une raison mystérieuse, cherche à interner Pierre. Ce fil conducteur n’est pas assez exploité et agit comme un simple ressort narratif, appauvrissant selon nous la représentation de la déficience faite par le film. En effet, la raison pour laquelle Pierre est poursuivi distrait le public des autres thématiques importantes du film, telles que sa relation avec les enfants de Louise. Dans une scène située à la fin du film, la psychiatre de Pierre rencontre Louise afin de négocier les conditions de remise en liberté de Pierre (il est en probation pendant trois mois), et elle dit, « c’est un peu comme s'il vivait chez sa mère ». Ces propos nient selon nous son autonomie et en font un pur objet de soin. Ce constat sous-entend également que, malgré leur relation amoureuse, Pierre et Louise entretiennent nécessairement une relation de dépendance du fait de l’autisme de Pierre, une perspective capacitiste que le film critique implicitement à travers la réplique de Louise, qui répond : « S’il vit ici c’est pas parce qu’il a besoin de nous, c’est que nous on a besoin de lui ». Le film se termine donc en réaffirmant la thématique principale : la relation interdépendante (et amoureuse) entre Louise et Pierre.