Chamboultout (Éric Lavaine, 2019)

Résumé du film

Frédéric, un père de famille quadragénaire, a perdu la vue après un accident de scooter. Depuis, il ne peut pas s'empêcher de dire tout ce qu'il pense, sans aucun filtre. Son épouse, Béatrice, décide d'écrire un roman sur l’accident de Frédéric et leur cercle d’amis. Elle a pris soin de changer les noms afin de ne heurter personne, mais chacun se reconnait dans le livre, ce qui provoque quelques remous au sein du groupe.

Pays de production: France

Chamboultout affiche

 

Type de déficience
Date de sortie
2019-04-03
Genre cinématographique
Principal ou Second Rôle
Principal
Analyse

Présentation du/des personnage(s) déficient(s)
Suite à un accident de scooter dans lequel il est heurté par une voiture faisant marche arrière dans un parking, Frédéric subit des lésions cérébrales et tombe dans le coma. Lorsqu’il se réveille quatre mois plus tard, il est aveugle et souffre de déficits neurologiques qui affectent la mémoire, la cognition, et l’autorégulation. Père de famille, Frédéric ne semble pas avoir de travail, que cela soit avant ou après son accident.

Regard porté sur la déficience
Chamboultout aborde plusieurs thématiques liées à la déficience. La représentation qui en est faite est complexe : certains aspects sont représentés de façon respectueuse, tenant compte de l'expérience vécue par le personnage et de la manière dont la société perçoit sa déficience, tandis que d’autres participent davantage à l'objectivation du personnage déficient, se focalisant davantage sur ses relations de dépendance et l’utilisant comme ressort comique. À cause de sa déficience et des symptômes cognitifs qu’elle cause, l’état de santé et le point de vue de Frédéric sont presque exclusivement relayés par sa femme, Béatrice. Le film n’offre pratiquement aucune tentative de retranscription du vécu de Frédéric, tant sur le plan intellectuel que sensoriel ou émotionnel.
Frédéric est père de famille et il conserve de l'empathie, de l'attention et de la compréhension envers ses enfants, même après l’accident, et malgré le fait que ses capacités cognitives et son intellect aient été affectés. Aussi bien avant qu’après son accident, il leur pose des questions, joue avec eux, les embrasse et les serre dans ses bras. Après son accident, le comportement de Frédéric est cependant plus enfantin et innocent. Il est aussi moins strict, trait de caractère que Béatrice sur-compense, ce qui rapproche Frédéric de ses enfants. Leur relation peut être résumée par le surnom que ses enfants lui donnent : « l'ardoise magique », en raison de ses problèmes de mémoire après l’accident. Quoique humoristique, ces propos servent à humaniser la déficience de Frédéric. Loin d’être perçus comme un 'manque', les enfants de Frédéric vivent les changements dans la personnalité de leur père avec émerveillement et enthousiasme. Dans la dernière scène du film, par exemple, Frédéric et sa fille jouent une chanson qu'ils chantent ensemble au piano depuis des années (« Lumière du jour » par Michel Berger) devant leur famille et leurs amis. Ses aptitudes en tant que parent ainsi que dans le domaine musical sont mises en lumière à plusieurs reprises et nuancent ainsi la représentation de la déficience comme n'étant ni déterminante ni une marque d’altérité ou d’infériorité. En cela, le film tente de déstigmatiser la déficience de Frédéric et apporte une forme de légèreté, en montrant les aspects positifs autant que les difficultés qu’elle cause.
Cependant, le film ne nous donne qu’un aperçu limité de la manière dont Frédéric perçoit sa déficience, tant sur le plan existentiel qu’émotionnel ou sensoriel. Son accident sert surtout d’enjeu scénaristique, et le film s’attarde davantage sur la manière dont l’accident et les troubles neurologiques et de comportement de Frédéric affectent Béatrice et leur cercle d’amis. Leurs amis reprochent également à Béatrice de ne pas « apprécier leur aide » et se disputent entre eux pour savoir qui a le plus soutenu le couple au cours des cinq dernières années. Le vécu de Frédéric est ainsi totalement éclipsé par ces disputes immatures et sans intérêts. Le film s’attarde sur les vies de ces personnages, et ne semble pas critiquer leur égoïsme.
Le choix de représenter l'accident et d’effectuer un saut narratif de cinq ans dans le futur signifie que le public n'a aucun aperçu du vécu de Frédéric : comment s’est-il adapté au fait de devenir soudainement aveugle ? Comment a-t-il appris à marcher sans canne blanche ? Comment s’est-il adapté à la perte d'une partie de certaines fonctions cognitives, comme ses difficultés langagières ? Est-il conscient de ces difficultés ? Comment vit-il ses relations avec ses amis, ses enfants, et sa femme depuis son accident ? Ces questions demeurent irrésolues à la fin du film. 
Le film dépeint aussi la relation de Frédéric et Béatrice comme étant essentiellement basée sur la dépendance plutôt que sur l'interdépendance. Frédéric est parfois décrit par Béatrice et ses amis comme un « fardeau », car il ne « peut plus rien faire » (comme lorsque Béatrice dit à son amie Odile au début du film, « il est un peu perdu quand y’a du monde », ajoutant « surtout pas d’alcool, éloigne-le du buffet »). L’autodétermination de Frédéric est entièrement mise de côté, sans que le public ne sache exactement pourquoi. Que se passerait-il si Frédéric avait l’opportunité de participer aux décisions prises par Béatrice ? Le film réitère à plusieurs moments la détermination de Béatrice, faisant de Frédéric une figure ayant besoin de supervision constante.
Le film a également recours aux stéréotypes dans sa représentation du personnage de Frédéric. La caractéristique principale de ce dernier est son obsession pour la nourriture, qui est apparue lorsqu’il s’est réveillé de son coma, aveugle. Cette obsession récurrente, qu’il exprime en répétant sans cesse d’une voix forte « J’ai faim ! », est utilisée comme ressort comique, comme lorsque Fred se plaint à un autre personnage en lui disant, « elle [Béatrice] me fait que du bio. » Son rapport à la la nourriture est représenté comme 'démesuré' et socialement inadapté, sans qu’une explication ne soit fournie par le récit pour justifier un tel comportement. Frédéric ne semble avoir aucun recul quant aux conséquences de ses actions, étant totalement consumé et guidé par ses impulsions. Lorsque Béatrice cuisine un gâteau aux fraises pour une fête qu’elle organise, elle laisse Frédéric tout seul et celui-ci dévore le gâteau, y plongeant ses doigts dedans et gémissant de plaisir. La mise en scène ainsi que le travail sur le son ont essentiellement pour but de faire ressortir l’aspect comique d’un tel comportement, sans nous permettre une meilleure compréhension de ce que vit et ressent Frédéric : s’agit-il d’un oubli, d’une impulsion, ou d’autre chose ? 
Certaines scènes tentent néanmoins de retranscrire le vécu de Frédéric, notamment en ce qui a trait à la manière dont la perte d’un sens en a éveillé ou développé d’autres, comme le goût, l’ouïe, et le toucher. En ce sens, l’obsession de Frédéric pour la nourriture est 'justifiée' par le récit comme étant en lien avec sa déficience, et le film explore la manière dont cette dernière influence ses perceptions sensorielles. Plusieurs scènes du film illustrent ce propos et tentent de nous sensibiliser à la manière dont Frédéric entend et ressent par le toucher. Lorsque Béatrice retrouve Frédéric assis près des falaises sur la plage par exemple, et lui demande comment il a pu venir tout seul, il lui répond, « J’me repère avec le gring-gring », en référence au drapeau tapant sur le mat à cause du vent et faisant un bruit métallique répétitif. Ces scènes se situent à la fin du film, ce qui fait que cette incursion dans le vécu intime du personnage vient après que Frédéric a été mis à l’écart des tensions entre Béatrice et ses amis, ce qui en atténue leur force ainsi que leur portée.
Finalement, une scène dans Chamboultout semble offrir une critique implicite des « structures socioéconomiques qui rejettent et écrasent ceux qui ne peuvent pas s’y conformer » (Chareyron, 24). Dans cette scène, Béatrice est à l’hôpital et révèle à la réceptionniste qu’elle se bat avec son assurance et avec l’hôpital pour que les factures liées aux soins de Frédéric soient prises en charge par son assurance, car elle ne peut pas les payer toute seule. D’un côté cette unique scène sous-entend clairement l'idée que la structure médicale 'écrase' Frédéric et sa famille car ils ont du mal à payer leurs factures avec un seul salaire. D’un autre coté, la quasi absence de subjectivité du film dans le traitement de la déficience de son personnage principal nie toute capacité d'action ou pouvoir décisionnel de la part du personnage ayant une déficience. La représentation de la déficience dans le film est donc plus complexe qu'il n'y paraît de prime abord, comportants autant de points forts que de points faibles.