Ava (Léa Mysius, 2017)
Ava, 13 ans, découvre qu’elle va perdre la vue à cause de la rétinite pigmentaire dont elle est affectée, une maladie génétique qui lui fait perdre la vision nocturne, puis la vision périphérique, avant de la rendre totalement aveugle (Allociné). Alors qu'elle est en vacances au bord de l'océan avec sa mère, Maud, et sa petite sœur, Ava assiste à une dispute entre deux jeunes hommes. L'un d’eux, Juan, âgé de 18 ans, est arrêté par la police car il n'est pas en possession de ses papiers. Ava s'éprend de Juan, mais ils sont découverts ensemble et Juan est arrêté pour détournement de mineure. Ils s’enfuient ensemble en moto, en route pour le terrain où vit la communauté de gens du voyage à laquelle Juan appartient.
Pays de production: France
Présentation du/des personnage(s) déficient(s)
Ava est une jeune fille morose qui parle peu. Son champ de vision s’obscurcit et se rétrécit peu à peu, et la maladie génétique dont elle est atteinte fait surgir en elle une lutte entre le désir d’être aimée et celui d’être « sauvée » de cette cécité progressive.
Regard porté sur la déficience
La rétinite pigmentaire d’Ava est dévoilée au tout début du film, de sorte que nous suivons sa progression à ses côtés et depuis son point de vue. Ava prend son indépendance au cours des vacances, au grand dam de sa mère, qui se comporte plus comme une amie que comme un parent. La cécité dégénérative d’Ava est donc reliée à son indépendance croissante, et la pousse à faire la découverte de ses propres capacités, mais aussi à développer ses autres sens pour palier à la perte prochaine de la vue.
Le personnage d’Ava n’est pas entièrement défini par sa cécité croissante. Dans une scène située au milieu du récit et mettant en lumière la force physique et la détermination d’Ava, nous voyons celle-ci se rendre à la plage et trouver Juan évanoui et recouvert de sang. Elle lui fait du bouche à bouche et lui sauve la vie, avant de le traîner jusqu'à une grotte afin de le cacher des hommes qui le poursuivent. Dans les jours qui suivent, elle lui apporte périodiquement de la nourriture et le soigne. Ava n’est donc pas représentée sous le prisme de la dépendance ni définie comme étant 'affaiblie' du fait de sa cécité. Sa déficience n’est donc pas représentée comme un frein à son développement personnel. Au contraire, c’est l’imminence de la perte de la vue qui lui donne la confiance et la détermination nécessaires afin d’être plus indépendante et de s’occuper des autres.
Le film met ainsi l’accent sur ce que peut faire Ava. Il offre également une vision authentique de la cécité telle qu’elle est vécue par le personnage, se focalisant sur le processus d’acclimatation de la jeune fille et s’éloignant ainsi d’une vision binaire de la déficience. D’autres scènes présentent même une vision optimiste de la cécité, comme celle où Maud, la mère d’Ava, tente d’apporter une forme de légèreté au diagnostic de sa fille en lui disant, « on va pas laisser ça gâcher nos vacances ». Même la scène se déroulant chez l’ophtalmologiste adopte cette approche, ce dernier expliquant la condition d’Ava avec un langage accessible pour une enfant de 13 ans et, par ricochet, un public sans connaissances préalables de la cécité (« Bientôt, tu verras plus très bien quand y’auras peu de lumière, pendant la nuit par exemple »). Au lieu de 'simplement' caractériser la cécité comme la perte de la vision, le médecin décrit les caractéristiques du processus dégénératif propres à la condition d’Ava, spécifiant les circonstances dans lesquelles Ava doit faire plus attention. Cette perspective d’un professionnel de la santé est importante, car elle contribue à une vision optimiste et normalisante de la cécité.
Ava priorise aussi le point de vue de son personnage éponyme, celle-ci faisant la narration de ses pensées et de son journal intime en voix-off à plusieurs reprises au cours du film. Cela permet au public d’accompagner le personnage au fur et à mesure que progresse sa cécité. Ces passages ont en effet pour but d’indiquer l’évolution psychologique d’Ava face à sa condition évolutive. Ava note avec assiduité la progression de la perte de la vue dans son journal intime : « 20 août : lever du soleil, coucher du soleil. 14 heures 8 de lumière. En 5 jours, 20 minutes de perdues. Depuis hier, je ne vois plus en lumière basse. J’pensais y être préparée mais ça m’a fait un choc. J’ai dormi contre lui. Le cercle se referme. Les animaux attendent tapis dans l’ombre. Est-ce que mes rêves vont disparaitre aussi ? Des envies d’me crever les yeux qu’on en finisse. » Le jour d’après elle écrit : « 14 heures et 2 minutes de lumière. » Le public est ici sensibilisé aux conséquences psychologiques de la perte progressive de la vision, car Ava est consciente que sa vue se dégrade et qu’elle va devenir aveugle, mais ne peut rien y faire. Enfin, Ava s’exprime sur un aspect plus stigmatisant, à savoir son découragement et son sentiment d’impuissance, disant (en voix-off) : « Je veux être sauvée ». Dans ce sens, le film est nuancé dans sa représentation de la cécité, et la jeunesse du personnage ainsi que la thématique universelle de la découverte de soi sensibilisent le public à son vécu.
Une approche intéressante qu’adopte le film pour représenter le point de vue d’Ava sans recourir à des artifices linguistiques est l’utilisation du motif de la couleur noire à l’écran afin de nous faire partager la subjectivité du personnage. Il faut cependant préciser qu’il s’agit d’une tentative de retranscription visuelle de la perte progressive de la vision afin de sensibiliser le public aux émotions et à la détermination d’Ava, et non pas d’une représentation de la cécité stricto sensu. Au cours du film, Ava peint des cercles noirs sur de grandes pages blanches. Ceux-ci deviennent de plus en plus grands à chaque nouvelle itération, remplissant de plus en plus la page blanche, et c’est par le biais de ces dessins que le public est sensibilisé à la perte progressive de la vue par le personnage. Vers la fin du film, Ava dessine un cercle noir remplissant presque toute la page, indiquant qu’elle sera aveugle si elle retourne voir Juan cette nuit-là. Elle décide malgré tout de retrouver le jeune homme, et le film tente de faire partager au public le ressenti de la jeune fille, l’écran devenant complètement noir lorsque la nuit tombe.
La mise en scène cherche également à retranscrire la cécité nocturne d’Ava à travers le jeu des couleurs qui indique qu’elle ne perçoit qu’un faible contraste entre le noir et le bleu dans la nuit, ainsi que de vagues contours de formes humanoïdes. Une telle mise en scène valorise les capacités d’adaptation d’Ava face à sa cécité croissante, rappelant les scènes dans lesquelles elle s’entraîne à se déplacer avec les yeux bandés.
De telles scènes sensibilisent également le public aux aspects plus stigmatisant de la cécité, surtout pour une enfant, donnant ainsi lieu à une représentation nuancée et intime. Dans un extrait frappant, Ava dit vouloir « tuer les enfants qui jouent dans le parc », exprimant ainsi sa jalousie et sa tristesse de perdre progressivement la vue. À cet égard, le film tente de nous sensibiliser à la réalité parfois difficile du vécu d’Ava, et ne cherche pas à taire les obstacles qu’elle doit franchir afin de s’adapter à sa déficience. De manière générale, la représentation du personnage est nuancée : Ava n’est pas idéalisée ni complètement 'transformée' par sa déficience. Sa cécité est simplement une des caractéristiques qui la composent.
Une limitation nous semble néanmoins à considérer quant à la représentation de la déficience lorsque Maud se prépare à sortir avec son copain et qu’Ava lui dit qu’elle a l’air « vieille » (leur relation est tendue tout au long du film). Maud lui répond : « T’es méchante, des fois j’me dit que c’est le venin qui te brûle les yeux ». Maud réduit ainsi Ava à sa déficience, laissant entendre que c’est à cause de sa « méchanceté » qu’elle perd la vue. Ces propos privent Ava de toute autodétermination et le positionnement du film face à cette réplique reste ambiguë.