Le Scaphandre et le Papillon (Julian Schnabel, 2007)
Le 8 décembre 1995, un accident vasculaire (AVC) brutal plonge Jean-Dominique Bauby, rédacteur en chef du magazine Elle, dans un coma profond. Quand il en sort vingt jours plus tard, toutes ses fonctions motrices se sont détériorées. Atteint de ce que la médecine appelle le "locked-in syndrome" (ou "syndrome d’enfermement"), il ne peut plus bouger ni parler sans assistance[1]. Le seul moyen de mouvement et d'expression qui lui reste est sa paupière gauche ; lettre par lettre (un clignement pour sélectionner la lettre dans l'alphabet qu'on lui lit), il dicte, pendant l'été 1996, sa biographie, qui paraît quelques jours avant sa mort le 9 mars 1997 (L’Express).
Film basé sur l’ouvrage autobiographique du même nom.
Pays de production: France, États-Unis
Présentation du/des personnage(s) déficient(s)
Jean-Dominique Bauby, que ses proches nomment Jean-Do (43 ans), père de deux enfants. Un jour, il est victime d'un AVC lorsqu’il roule en voiture avec son fils. Après une première analyse un peu trop optimiste de la part d'un médecin, un neurologue lui explique qu'il est atteint du "locked-in syndrome", aussi connu sous le nom de "syndrome d’enfermement", un trouble neurologique extrêmement rare dans lequel le patient est presque complètement paralysé physiquement, mais ne souffre pas de symptômes neurologiques. Avec l’aide d’une physiothérapeute et d’une orthophoniste, il va lentement réapprendre à communiquer en clignant des yeux.
Regard porté sur la déficience
Le film adopte une approche spécifique du "locked-in syndrome", le monologue interne de Jean-Dominique en voix-off permettant au public d'accéder à ses pensées (comme sa joie, son coté séducteur, sa dépression, etc.) qu’il ne peut plus verbaliser. Le public est sensibilisé à la déficience de Jean-Dominique tel qu’il en fait l’expérience puisque le film s’ouvre sur son réveil à l’hôpital, immédiatement après son AVC, et nous fait ainsi partager son point de vue.
Bien qu’il incorpore la confusion et la tristesse des enfants ainsi que le chagrin de Jean-Dominique (« pas de mot pour exprimer le chagrin qui m’envahit. Je ne peux pas passer les mains dans leurs cheveux… »), Le Scaphandre et le papillon tente de normaliser la vie d’un père paraplégique qui participe à la vie de ses enfants. Son humour est également mis en avant par le film, comme lorsque son ami lui rend visite et lui dit que certains anciens collègues le nomme « le légume » et que Jean-Dominique répond, dans sa tête, « quel genre de légume ? Une patate ? Un cornichon ? ». La représentation de la déficience n'est pas excessivement pessimiste et la mise en scène cherche à communiquer au public le point de vue ainsi que le ressenti du personnage, ne cherchant pas à généraliser son propos quant à sa représentation de la déficience, mais au contraire à en retranscrire le caractère unique, propre à la personne qui en fait l'expérience. L'intellect et l'imagination de Jean-Dominique sont mis en avant à plusieurs reprises, comme lorsqu'il décrit les films qu'il réaliserait s'il pouvait encore exercer le métier, et que le film nous plonge dans son imaginaire, matérialisant à l'image des tournages de films historiques et luxueux. Le personnage n'est donc pas entièrement défini par sa déficience.
Le film adopte une approche spécifique à la déficience autant dans sa représentation du corps de Jean-Dominique que du processus de (ré-)apprentissage et des soins qu’il reçoit. Son physiothérapeute et son orthophoniste l’accompagnent tout au long du film et offrent au public un aperçu de l'importance du processus de réapprentissage et de soins adaptées au patient. Leur accompagnement souligne l’importance d’une relation personnalisée fondée sur l'interdépendance entre patient et soignant, relation qui humanise Jean-Dominique. En effet, nous voyons, du point de vue du personnage, l’étendue de sa dépendance vis-à-vis des soignants (pour s’habiller, se laver, réapprendre à manger, à faire de l’exercice – il "nage" avec l’aide d’un instructeur - pour que ses muscles ne s’atrophient pas, etc.). L'approche spécifique et personnalisée du personnel médical est ainsi véhiculée au niveau visuel. Par exemple, lorsque l’orthophoniste aide Jean-Dominique à réapprendre à avaler, elle l’instruit avec des actions précises (« glissez la langue vers le bas du palais, comme ça »), lui montrant comment faire avec sa propre bouche en lui tendant un miroir pour qu’il puisse reproduire et pratiquer cette action tout seul. La scène est filmée du point de vue de Jean-Do et nous voyons la bouche de l’orthophoniste en gros plan, ce qui sensibilise le public à la minutie et la difficulté des mouvements qu’il doit accomplir pour lentement réapprendre à avaler, une action qui peut sembler anodine pour un public valide.
Nous suivons également la manière dont Jean-Dominique réapprend à communiquer. Sa relation avec l’orthophoniste est particulièrement mise en avant, ce personnage développant un système de communication et des outils adaptés au clignement de l’œil gauche de Jean-Dominique, la seule partie du corps qu’il peut encore contrôler. Le processus de réapprentissage est long et présenté de manière réaliste : au début, leur communication est limitée à « un battement de cils pour oui, deux pour non ». Puis, l’orthophoniste crée un tableau simple où sont classées les lettres de l'alphabet en fonction de leur fréquence d'utilisation dans la langue française. Jean-Dominique guide le doigt de l’orthophoniste avec son œil afin qu’il puisse communiquer avec elle. Nous sommes ainsi sensibilisés à l’effort, à la patience, ainsi qu'aux capacités intellectuelles de Jean-Dominique qui, vers la fin du film, parvient à dicter son autobiographie entière. Le film met également en valeur la patience et l'interdépendance entre Jean-Dominique et l'équipe médicale qui le suit tout au long de son processus de rééducation. Ces personnages ne perçoivent pas la paralysie de Jean-Dominique comme un frein à son intégration au monde qui l'entoure, lui parlant tout le temps de leur vie, sachant qu'il peut les entendre, et le public est encouragé à partager ce point de vue. Inspiré par l'approche personnalisée de ses intervenantes, Jean-Dominique parvient à retrouver la joie de vivre et la motivation de concevoir un roman qu'il dicte à son orthophoniste à l'aide du système de communication rudimentaire qu'à développé celle-ci. L'interdépendance des deux personnages est ainsi particulièrement mise en avant, la patience, l'ingéniosité et la confiance de l'orthophoniste étant aussi importantes que la détermination et le talent de Jean-Dominique.
Le film tente de déstigmatiser la déficience de Jean-Dominique en se focalisant sur les spécificités du lent processus de rééducation. Le film met en images les moments plus joyeux et apaisés tout comme la réalité la plus dure de la déficience du personage. En effet, la représentation du "locked-in syndrome" ne se veut pas "rassurante" ni neutre. Par exemple, vers la fin du film Jean-Dominique ne peut pas respirer tout seul et doit être intubé. Dans une scène, il commence à s'étouffer avec sa propre salive, celle-ci jaillissant du tube.
Les procédés cinématographiques mis en place par le film ont pour but d'offrir un aperçu intime de la réalité de l'existence de Jean-Dominique. Cela se traduit essentiellement par le choix d'une caméra subjective, qui donne au public l'impression de percevoir les événements à travers le regard du personnage, et le fait que son apparence ne nous soit dévoilée que dans la deuxième moitié du film. Ce choix, aussi bien visuel que narratif, sensibilise le public au vécu intime du personnage avant que l’on puisse s'attacher à son apparence. Lorsque la caméra choisit de filmer frontalement le personnage, nous constatons l'étendue de sa paralysie: Jean-Dominique est paralysé et en fauteuil roulant mais ne peut pas se déplacer tout seul, et un tube transparent sort de sa gorge, mécanisme l’aidant à respirer. Cependant, Jean-Dominique est toujours habillé soigneusement (chemises, gilet, pantalons) et il porte plusieurs tenues différentes au cours du film, ce qui met en valeur non seulement l’individualité du personnage, mais aussi l’importance de l’apparence pour les personnes paraplégiques. Jean-Dominique porte notamment une ouchanka (un chapeau traditionnel russe) qu'un ami lui offre vers le début du film, accessoire qui devient un marqueur visuel auquel nous l’identifions. En cela, la représentation cherche à s'éloigner d'une perception purement médicale du personnage déficient, en ce que le public est encouragé à reconnaitre l’individualité ainsi que les capacités intellectuelles de Jean-Dominique, au lieu de le percevoir uniquement comme un pur objet de soins.
Au-delà de la dépression, le film cherche à communiquer au public l'absence de sensations physiques et sensorielles qui caractérise la paralysie de Jean-Dominique, et ce par le biais d'une mise en scène qui nous sensibilise à ce sentiment de perte. Jean-Dominique se rappelle par exemple de relations intimes avec ses ex-partenaires, de la conduite à moto, de la dégustation d’huitres, etc. Les sons de doigts que l'on lèche, de mastication, de gémissements, de dégustation et de baisers intimes associés à la vie d'avant l'AVC sont ainsi accentués afin de contraster avec la situation présente, caractérisée par l'absence totale de ressenti. Dans son ensemble, Le Scaphandre et le papillon parvient à retranscrire avec justesse la réalité du "locked-in-syndrome" tout en parvenant à trouver un équilibre entre la représentation des difficultés de la rééducation et des complications physiques et psychologiques liées à la paralysie, et les moments plus ludiques que Jean-Dominique vit avec ses proches.