Elle s'appelle Sabine (Sandrine Bonnaire, 2008)

Résumé du film

Un portrait de Sabine Bonnaire, 38 ans, autiste, réalisé par sa sœur la plus proche, la comédienne et réalisatrice Sandrine Bonnaire. Récit de l’histoire de Sabine à travers des archives personnelles, filmées par sa sœur Sandrine sur une période de 25 ans, et témoignage de sa vie aujourd'hui dans une structure adaptée. Le documentaire évoque une personnalité attachante dont le développement et les dons multiples ont été broyés par un système de prise en charge défaillant. Après un passage tragique de cinq longues années en hôpital psychiatrique, Sabine reprend goût à la vie dans un foyer d'accueil en Charente, même si ses capacités restent altérées. (Allociné)

Pays de production: France

Elle s'appelle Sabine affiche
Type de déficience
Date de sortie
2008-01-30
Genre cinématographique
Principal ou Second Rôle
Principal
Analyse

Présentation du/des personnage(s) déficient(s)
Sabine Bonnaire, diagnostiquée tardivement d’"autisme" et d’"infantilie". Elle est renvoyée du système scolaire à l’adolescence à cause  de comportements violents et inappropriés. Le décès de son frère et son isolement progressif du monde extérieur nuisent à sa santé mentale, ses difficultés étant exacerbées par la sur-médication et l’absence d’assistance adaptée dans sa jeunesse. Sabine éprouve des difficultés d’ordre moteur ainsi qu’une déficience intellectuelle, aspects qui limitent son indépendance. Elle demeure aujourd'hui dans un foyer d’accueil pour les personnes déficientes, dont plusieurs apparaissent de temps en temps lors d’activités communes.
 
Regard porté sur la déficience

Le documentaire retrace la vie de Sabine de l’adolescence à l’âge adulte, se focalisant sur l’impact à long terme du traumatisme psychologique et du danger de la sur-dépendance médicamenteuse qui déshumanise parfois les personnes autistes. Sabine est atteinte d’un déficit intellectuel et a parfois recours à la violence, son état s’étant vraisemblablement dégradé à cause d’évènements traumatiques et d'un mauvais diagnostic de sa déficience par la médecine dans sa jeunesse. L’approche est spécifique plutôt que généraliste : le film ne fait pas de constats généralisants sur "tous les autistes" qui négligerait leurs parcours individuels. Le documentaire se concentre sur l’impact du traumatisme psychologique dans la dégradation des capacités intellectuelles, émotionnelles, et physiques de Sabine plutôt que d’attribuer ces lacunes à sa déficience. Par ailleurs, le format documentaire et le fait que le film ait été filmé et réalisé par la sœur de Sabine apportent une authenticité à la représentation de l’autisme, puisque Sabine s’exprime elle-même sur sa vie à plusieurs reprises et la réalisatrice témoigne également des difficultés rencontrées par sa sœur ainsi que de sa résilience. Elle s’appelle Sabine a fréquemment recours aux archives personnelles de la réalisatrice (sous la forme d’enregistrements vidéo) montrant les deux sœurs à l’adolescence. Ces images d’une Sabine jeune et pleine de vie offrent un contrepoint à celles, au présent, montrant la dégradation, tant physique que psychologique, de Sabine à travers son quotidien dans son foyer d’accueil, et les segments durant lesquels Sandrine interroge Sabine sur ses aspirations et son passé.
Le documentaire dénonce les lacunes du système psychiatrique et, notamment, le manque de structures d’accueil adaptées pour les personnes déficientes pendant les années 1980 et 1990. En effet, le documentaire souhaite mettre en avant l’impact néfaste et permanent qu’a eu l’internement de Sabine en hôpital psychiatrique et la médication forte qu’on lui a administré pendant cinq ans durant les années 1990. Le public est particulièrement sensibilisé à cela par le biais du visuel, et l’effet de miroir qui se crée entre les images d’archives où Sabine apparaît rayonnante, et celles illustrant son quotidien dans le centre d’accueil et qui soulignent les effets dévastateurs qu’a eu cet internement, tant au niveau physique que psychologique et intellectuel. Adolescente, « elle [était] très créative et elle fabriqu[ait] de magnifiques poupées de chiffons, elle tricot[ait] des pulls pour la famille, elle s’achet[ait] des livres d’anglais et de géographie qu’elle étudi[ait] longuement dans sa chambre, passionnée par la musique et [elle est surdouée au piano]. Très vite, elle [savait] jouer Schubert, Bach, et compos[ait] une mélodie. » Les enregistrements vidéo d’elle dans sa jeunesse mettent en évidence sa dextérité, les traits de son visage concentrés et stoïques, son sourire, sa posture droite et sa passion, se balançant d’avant en arrière avec la mélodie. Cette personne dynamique semble aujourd’hui avoir disparu: « Elle est voûtée, lente, parle avec difficulté ou répète inlassablement la même question. Elle bave souvent et lance parfois des injures, voire essaie de frapper ou tirer les cheveux[1]. » Bien que la prise de médicaments soit un aspect du quotidien de Sabine que le film ne cherche pas à éluder, la voix off de la réalisatrice indique que les doses de médicaments de Sabine ont été réduites de moitié durant les dernières années, comparées à celles qui lui étaient administrées lors de son internement. À travers ses paroles, la réalisatrice porte un regard critique sur le recours excessif à la médication dans le but de pallier aux insuffisances de la psychiatrie, et les effets souvent irréversibles d’une telle approche sur les individus.
Le film dénonce également les manquements de la médecine, qui n’a pas su diagnostiquer Sabine dans son adolescence (elle n'est diagnostiquée que dans les années 2000), et dont l’autisme a été abordé comme un "problème" qu’il fallait guérir, et non comme un état nécessitant une éducation et des soins adaptés. Cette défaillance du système médical est d’autant plus frappante lors de l’avant-dernière scène, lorsque Sabine visionne une vidéo d’elle-même dans sa jeunesse. Dans cette scène, le haut de son corps est filmé en gros plan afin de rendre compte au plus près de ses expressions faciales, et elle éclate en sanglot, ses facultés physiques et neurologiques fortement dégradées par des années de sur-médication. Le public est ainsi sensibilisé aux sentiments de Sabine et à sa perception de soi qu’elle ne peut pas exprimer verbalement. Dans l’ensemble, le film ne cherche pas à masquer les aspects plus stigmatisants de sa déficience, tels que le sentiment de perte d’identité. La représentation de la déficience nous apparaît en cela nuancée, en ce qu’elle présente autant les moments de joie et de complicité que les séquelles laissées par des années de traitements inadaptés.
Le documentaire nous met en effet face aux aspects les plus stigmatisants de l’autisme de Sabine : elle jure, bave, tremble, est parfois violente envers sa sœur, ses colocataires, et le personnel du foyer d’accueil. La représentation témoigne ainsi d’une déficience que l’on pourrait qualifier d'"extrême", en ce qu’elle impacte de manière significative le quotidien de Sabine et ses capacités psychiques autant que physiques.
Cependant, le documentaire ne fonctionne pas sur le mode de la dichotomie entre la "norme" et la déficience, les autres personnes déficientes au centre ayant chacune des forces et des difficultés qui leur sont propres (comme Olivier, infirme moteur cérébral, qui porte un casque de protection car il souffre de crises épileptiques fréquentes qui le font tomber, mais qui, lors d’entrevues avec la réalisatrice, s’exprime avec aise). Sabine n’est pas non plus entièrement représentée sous le prisme de son autisme, et le film tente d’apporter une note d’optimisme dans son récit. Par exemple, la chambre de Sabine est décorée avec des poupées qu’elle collectionne; c’est elle qui choisit ses propres vêtements et qui dépense son propre argent; elle fait de la natation, etc. Dès le début, le documentaire s’attache à mettre en avant le vécu et le ressenti de Sabine, comme dans la scène où elle se présente, décrivant ce qu’elle aime et ce qu’elle n’aime pas ainsi que ses rêves et ses aspirations, comme d’épouser un pompier et avoir deux enfants : « si c’est une fille, Camille, et si j’ai un garçon Antoine ».
La thématique dominante du documentaire est la relation entre la réalisatrice et sa sœur, Sandrine donnant voix à Sabine et celles-ci partageant plusieurs moments intimes à l’écran. Sabine exprime à de nombreuses reprises sa tendresse envers Sandrine, la serrant dans ses bras et lui donnant des baisers sur le front. Leur relation est fondée sur l’interdépendance plutôt que sur la dépendance, et ce malgré les difficultés cognitives de Sabine. Elles font également des activités ensemble (déjeuner au restaurant, se maquiller, aller à la piscine, faire du shopping, etc.), ce qui a pour effet de normaliser l’existence de Sabine. C’est également sur le mode de l’interdépendance que se fondent les relations dans le foyer d’accueil, dans lequel Sabine, les autres locataires déficients, et les accompagnat.eur.rice.s non déficient.e.s jouent de la guitare et du piano, chantent, et organisent des fêtes d’anniversaire.
Finalement, la déficience de Sabine est seulement nommée à la fin du film, de sorte que le public découvre les particularités et la personnalité de Sabine tout au long du documentaire sans y apposer une "grille de lecture" prédéfinie. Selon la cinéaste, Sabine est diagnostiquée « psycho-infantile avec des comportements autistiques[2] ». Cela dissuade également le public de sur-identifier les comportements ou traits de caractère de Sabine à l’autisme au cours du documentaire, ce qui aurait pour effet de la percevoir uniquement sous ce prisme. Elle s’appelle Sabine soulève l’importance de donner une voix à des personnes avec des déficiences plus stigmatisantes et promeut une société plus équitable qui tire des leçons de ses erreurs afin de restituer une humanité à ces individus.

[1] Jacques Mandelbaum, « "Elle s'appelle Sabine" : Sandrine Bonnaire filme sa sœur autiste pour la sauver » [archive], Le Monde, 29 janvier 2008
[2] https://www.critikat.com/actualite-cine/critique/elle-s-appelle-sabine/