Tout le monde debout (Franck Dubosc, 2018)

Résumé du film

Égoïste et misogyne, Jocelyn (PDG d’une entreprise de chaussures de sport) tombe sous le charme de la voisine de sa mère décédée. Suite à un malentendu, il est amené à utiliser un fauteuil roulant et à se faire passer pour une personne paraplégique afin de la séduire. Le gros souci, c’est quand celle-ci lui présente sa sœur Florence, elle-même paraplégique. Florence et Jocelyn commencent à se fréquenter, Florence ignorant que Jocelyn n’est pas réellement paraplégique. Jocelyn tombe amoureux d’elle et il a du mal à lui dire la vérité, malgré l’insistance de ses proches.

Pays de production: France

Tout le monde debout affiche
Type de déficience
Date de sortie
2018-03-14
Genre cinématographique
Principal ou Second Rôle
Principal
Analyse

Présentation du/des personnage(s) déficient(s)
Florence, violoniste professionnelle dans la quarantaine, tombe sous le charme de Jocelyn lorsque celui-ci lui est présenté par sa sœur Julie. Florence est sportive, elle joue au tennis à un niveau semi-professionnel pendant son temps libre, et fait partie de la Fédération Handisports. La compétition de sport « Handicup 2017 » à laquelle Florence participe accueille d’autres athlètes avec des déficiences variées (physiques, motrices, intellectuelles, neurologiques, etc.). Lorsque Florence, Jocelyn, et son ami Max se rendent à Lourdes pour "remédier" à la "paraplégie" de Jocelyn, un prêtre offre de les aider et ils sont conséquemment suivi par un groupe de personnes avec des déficiences variées qui espèrent elles aussi être "guéries".
 
Regard porté sur la déficience*
Tout le monde debout s’empare du sujet de la déficience principalement comme enjeu scénaristique afin de mettre en scène la transformation altruiste de Jocelyn, et la déficience sert souvent de ressort comique. L’enjeu du film est entièrement basé sur la transformation de Jocelyn, qui, en prétendant être paraplégique afin de séduire une femme plus jeune que lui, tombe amoureux de Florence, réellement paraplégique, et prend progressivement conscience de son attitude discriminatoire envers les personnes déficientes. Le personnage de Jocelyn est représenté de manière caricaturale durant la première moitié du film, et ce dernier critique implicitement les propos et les préjugés capacitistes qu’avancent les personnes non déficientes (Jocelyn, sa secrétaire, la mère de Florence, Julie) en ce qu'il donne à les percevoir à travers le personnage de Florence. En cela, le public est amené à partager le point de vue de Florence, personnage accomplie professionnellement et qui vit pleinement avec sa paraplégie.
Malgré le fait que le film ne s'attache jamais à nous sensibiliser à la subjectivité de la personne déficiente, Florence n’est pas entièrement définie par sa paraplégie. Elle est vive d’esprit, sarcastique, athlétique, et fait attention à son apparence. Elle a également une vie professionnelle riche, puisqu'elle est une violoniste de renommée internationale. Lorsque nous la voyons jouer du violon, la mise en scène s'attarde sur la concentration qui émane de son visage, ainsi que sur la dextérité de ses doigts, dans le but de souligner l’habileté physique nécessaire pour être violoniste et soliste de concert. Bien que sa paraplégie structure son quotidien, sa déficience n’est pas représentée comme une limite à ce qu'elle peut accomplir. 
Nous sommes également sensibilisés aux aménagements nécessaires à Florence du fait de sa paraplégie. Cette spécificité est particulièrement mise en avant lors de son match de tennis pendant la compétition « Handicup » : les fauteuils roulants des deux athlètes sont visiblement plus fins et légers que celui qu’utilise Florence quotidiennement, et cela afin de maximiser sa vitesse. À la mise en avant de ces caractéristiques s'ajoute le travail de la mise en scène qui cherche à souligner l’habilité et la force physique des athlètes, à travers des gros plans sur leurs corps musclés, les traits de leur visages concentrés, ainsi que la sueur sur leurs membres et leurs fronts. 
Cependant, malgré ces brèves tentatives pour offrir une vision plus intime de la déficience, à travers les différents arrangements nécessaires à Florence pour l'accomplissement de ses différentes activités (professionnelles et personnelles), la représentation qui est faite de la déficience dans le film nous apparaît relativement problématique. Ceci est principalement dû au fait que le film cherche à "atténuer" tout ce qui pourrait trop "singulariser" la déficience du personnage, choisissant de se concentrer sur tout ce que Florence peut accomplir et qui la rapproche du monde des valides. Il nous semble en effet que le film ne se concentre jamais pleinement sur les enjeux réels de la déficience, en ce que le/la spectat.eur.rice a tendance à "oublier" que Florence est en fauteuil roulant, tant le récit met en avant l'étendue de ses accomplissements et s'attache avant tout à montrer ce que Florence peut faire comme une personne valide. Il nous semble alors que nous soyons confronté.e.s à ce que Sam Haigh nomme une "invisibilité visible" (147) [1] et qui désigne selon lui la position contradictoire dans laquelle se trouve une personne déficiente dans la société française actuelle: sa déficience y est perçue, mais la singularité qui en découle n'est pas reconnue, en ce que la personne est avant tout jugée à l'aune de ce qu'elle est capable d'accomplir. Le film fait ainsi l'impasse sur tout ce qui pourrait trop "spécifier" la déficience pour se focaliser sur tout ce qui rapproche Florence du monde des valides: elle nous est présentée comme une belle jeune femme blonde, sportive de compétition et violoniste reconnue internationalement. Il n'est bien entendu pas de notre volonté de dire que de telles caractéristiques ne pourraient pas s'appliquer à une personne paraplégique dans le monde réel. C'est plutôt sur cette injonction du film à faire se conformer Florence à des normes édictées par la société des individus valides, au détriment de sa propre subjectivité, qui nous paraît poser problème dans la représentation. Il est d'ailleurs intéressant de noter que, tout au long du film, les accomplissements du personnage de Florence sont présentés comme le revers "positif" des difficultés que rencontre Jocelyn en fauteuil roulant. Cette opposition binaire a une visée essentiellement comique et ne cherche jamais à nous offrir un aperçu juste et équilibré de ce que Florence peut accomplir, mais aussi de certaines limitations inhérentes à sa paraplégie. En effet, la mise en scène opère selon nous par "omission", en ce que des questions telles que l'accessibilité des lieux publics ou les soins nécessaires à l'autonomie du personnage sont constamment passés sous silence.

Ce parti pris se manifeste dès la scène de présentation du personnage de Florence, où la mise en scène établit d'emblée une hiérarchie entre la personne déficiente et les valides. Il s'instaure même une forme de "suspense" lors de cette scène, puisque nous entendons tout d'abord la voix de Florence, tandis que cette dernière demeure hors-champ. Lorsqu'elle apparaît finalement à l'écran, elle est seule au milieu du cadre, filmée en plan moyen. de tels choix de mise scène s'opposent à ceux qui président lors des plans représentant les autres personnages - valides - qui sont eux filmés en plans d'ensemble, en train d'interagir les uns avec les autres. Cette "séparation" instaurée entre Florence et les autres personnages dès les premiers plans se poursuit dans la suite de la scène, puisqu'un plan reproduit en caméra subjective le point de vue de Florence sur le groupe assis à table. La mise en scène nous semble donc opérer ici sur le mode de la séparation, indiquant par le biais du visuel que la personne déficiente occupe un monde "différent" qui la sépare de celui des individus valides. Il est en cela intéressant de relever qu’avant que sa supercherie ne soit démasquée, Jocelyn invite Florence chez lui pour un dîner romantique. Au moment de lui avouer son mensonge, Jocelyn esquive de nouveau le sujet et actionne la bâche électrique qui recouvre sa piscine et sur laquelle il avait installé la table du dîner. Nous voyons ainsi les deux personnages s’enfoncer progressivement dans l’eau, tandis que leurs fauteuils roulants sombrent au fond de la piscine. C’est à ce moment- là qu’ils échangent leur premier baiser. Si, sur le plan narratif, ce stratagème permet à Jocelyn de continuer à entretenir son mensonge auprès de Florence, sur le plan de la représentation, une telle mise en scène induit l’idée que la seule manière pour les personnages de parvenir à une relation amoureuse et d’être “à égalité” est de nier, voire d’“effacer” le handicap de Florence.

Il nous semble donc que le Tout le monde debout offre une vision limitée et réductrice de la déficience, en ce que celle-ci est uniquement utilisée comme ressort comique, et que le récit ne cherche jamais à nous sensibiliser au vécu du personnage de Florence ou bien à sa subjectivité. En souhaitant évacuer tout ce qui pourrait "faire saillie" et trop spécifier la déficience est mis de côté au profit d'une vision de la déficience qui se veuille "rassurante" et qui se base sur une vision normative du corps qui prend la validité comme valeur-repère.

[1] Haigh, Sam. "Integration or Interaction? Disability in France Today", Hexagonal Variations: Diversity, Plurality and reinvention in Contemporary France, Jo McCormack, Murray Pratt et Alistair Rolls (ed.) New York, Rodopi, 2011. pp.135-156.

*Certains des commentaires et analyses effectué.e.s en lien avec le film sont repris du travail effectué par le Dr Romain Chareyron sur le film et qui se trouvent dans son article "Le Handicap dans le cinéma français contemporain: Quelles représentations? Quels discours?", Nouvelles études francophones, vol.36 n°1-2, 2021. pp.9-28.