Abus de faiblesse (Catherine Breillat, 2013)
Maud Schoenberg est réalisatrice. À la suite d'une hémorragie cérébrale, elle devient hémiplégique. Désormais « orpheline » de son corps, elle doit également faire face à une douloureuse solitude. Lors d'une émission de télévision, Maud découvre Vilko Piran, un voyou en costume chic, célèbre pour avoir arnaqué des célébrités. Séduite par son charisme, Maud le veut pour son prochain film. Maud et Vilko se rencontrent et rapidement ne se quittent plus, mais Vilko escroque la cinéaste en lui empruntant d'énormes sommes d'argent (Allociné).
La réalisatrice (Catherine Breillat) s'est inspirée des événements de sa propre vie pour écrire un roman du même nom (Fayard, 2009). Elle a ensuite choisi d’adapter son propre livre pour le cinéma. Après avoir opté pour le titre La Hyène, elle décide finalement de conserver le même titre que son livre2.
Pays de production: France, Allemagne, Belgique
Présentation du/des personnage(s) déficient(s)
Maud Schoenberg, réalisatrice dans la cinquantaine, est soudainement atteinte d’une hémorragie cérébrale qui la paralyse du côté gauche de son corps. À la suite de son accident, Maud se déplace en fauteuil roulant spécialisé pour les hémiplégiques. Puis, après plusieurs mois de kinésithérapie, elle réussit à se déplacer à l’aide de chaussures spécialisées et d’une canne. Lorsque Vilko entre dans sa vie, Maud est flattée par son attention et elle tombe sous son charme.
Regard porté sur la déficience
Le terme ‘abus de faiblesse’ est utilisé dans le droit français pour décrire l’exploitation « de l’état d’ignorance ou de la vulnérabilité psychique ou psychologique d’une personne afin de l’amener à prendre des engagements dont elle est incapable de voir l’importance. »
Une des forces du film réside dans sa représentation de ce que Maud peut accomplir, ainsi que de sa lutte pour maintenir son indépendance. Par exemple, Maud conserve un grand souci de son apparence, le film nous la montrant portant de nombreuses tenues différentes et s’habillant toute seule lors d’une scène qui ne cherche pas à passer sous silence ses difficultés motrices. C’est également elle qui conçoit ses propres bottes orthopédiques qui facilitent sa marche (elle demande « des attaches un peu rock ‘n roll »). La représentation parvient ainsi à véhiculer une image plus subjective de la déficience et des aménagements nécessaires. L’approche est légère plutôt que stigmatisante. Maud vit également toute seule avant que Vilko ne s’installe chez elle, refusant que son ex-mari ou que toute autre personne ne vienne l’aider. Le film souligne aussi la ténacité du personnage, plusieurs scènes montrant Maud marcher seule, lentement et avec difficulté au début, puis, avec une plus grande aisance par la suite. Dans une autre scène clé, Maud s’efforce de se préparer un sandwich: elle ouvre les pots et se saisit des ustensiles avec difficulté, mais y parvient malgré tout. Bien que le film mette en images les difficultés motrices associées à sa déficience, la détermination et l'indépendance du personnage prennent le pas sur les difficultés qu’elle rencontre.
Le film se concentre en grande partie sur l’illustration de l’impact de la déficience sur la vie quotidienne de l’individu. Lorsque Maud fait ses courses seule, elle boite et a du mal à se baisser et à se redresser. Dans une autre scène, Maud se baisse et perd l’équilibre. Elle tombe et se cogne la tête, ne pouvant pas amortir sa chute avec ses bras en raison de sa paralysie partielle. Elle parvient à se redresser au prix d’efforts importants. Maud a également des spasmes musculaires débilitants, et les dommages causés par son hémorragie sur ses capacités cognitives sont illustrés par le fait qu’elle a beaucoup de difficultés à identifier les couleurs ainsi qu’à dessiner de mémoire les chiffres d’une horloge. Lorsque la rééducatrice lui explique qu’elle n’a pas écrit les bons chiffres sur l’horloge, Maud s’agace et dit « Je sais ! », ce qui indique au public que son hémorragie cérébrale a perturbé ses capacités langagières, d’où son aphasie (elle doit faire des efforts pour prononcer les « i » et « o »). L’effort sur son visage partiellement paralysé sensibilise le public à la souffrance du personnage ainsi qu’au bouleversement lié à la perte d’une partie de son autonomie.
Un autre aspect à prendre en considération dans la représentation de la déficience effectuée par le film concerne l’intérêt porté au matériel adapté qu’utilise Maud pour faciliter son quotidien. Au début, Maud se déplace à l’aide d’une chaise roulante spécialisée qui lui permet d’activer un levier de la main droite afin de faire avancer sa chaise, lui offrant ainsi une plus grande indépendance. Plus tard, Maud marche à l’aide d’une canne, ce qui souligne son adaptation progressive à sa déficience. En opérant de la sorte, ces scènes mettent en avant la manière dont l’accès à du matériel adapté peut partiellement combler la perte d’autonomie du personnage. En cela, la représentation s’éloigne d’une image de la déficience où cette dernière serait entièrement perçue par le prisme de la perte d’autonomie. Maud exprime également son ressenti concernant la manière dont sa déficience a impacté son corps et la perception qu’elle a de ce dernier. Elle dit par exemple « Quand on est hémiplégique on peut pas se rattraper, on tombe comme une pierre », ou bien encore « J’suis un demi-cadavre. » À travers de tels commentaires, le film ne cherche pas à minimiser ou à passer sous silence les aspects plus stigmatisants de l’hémiplégie et les contextualise à travers l’expérience subjective de Maud, ce qui lui permet de ne pas offrir de constats généralisants ou réducteurs concernant la déficience.
Le film met également en images l’absence d’infrastructures adaptées pour les personnes à mobilité réduite. Dans une scène, Vilko doit soulever Maud pour monter à l’étage d’un commerce car il n’y a qu’un escalator qu’elle ne peut pas utiliser toute seule car celui-ci va trop vite. Sa dépendance vis-à-vis de Vilko dans ce cas précis est donc attribuée à l’inaccessibilité de certaines infrastructures pour les personnes à mobilité réduite, et n’est pas représentée comme un manque ou une infériorité de la part de Maud. Le film porte également un regard critique sur les individus qui sursignifient la déficience du personnage, leur relation de dépendance avec Maud étant juxtaposée à celle entre Maud et Vilko, davantage basée sur le mode de l’interdépendance. Par exemple, lorsque Maud rend visite à sa fille, celle-ci nourrit sa mère à la cuillère tout en l’ignorant et en parlant à quelqu’un d’autre, ne laissant pas Maud se nourrir toute seule. Cette interaction objectivante de la part de sa propre famille crée un effet miroir avec une scène précédente dans laquelle Maud et Vilko dinent ensemble dans un restaurant et où Vilko laisse Maud se nourrir à son rythme, l’aidant à couper un morceau de viande lorsqu’elle le lui demande. Les autres personnages font preuve d’une prudence excessive avec Maud, sursignifiant par-là sa déficience car ne l’interprétant que comme une faiblesse physique, comme lorsqu’elle trébuche lors d’une réunion et qu’un de ses collègues se jette devant elle et l’attrape avant même qu’elle ne tombe. Le film critique ouvertement ces attitudes réductrices en donnant voix à Maud, qui s’agace ouvertement lors de cette scène (exclamant, « ça va, ça va ! »).
Le film s’éloigne d’une représentation de Maud qui passerait entièrement par le prisme de sa déficience. Maud est en effet représentée comme un personnage dont les motivations sont difficiles à déchiffrer ; elle est directe, à un sens de l’humour noir, et a souvent des éclats de rires inattendus lors de situations inconfortables, comme lorsqu’elle décrit à Vilko comment elle est tombée et s’est cassé le poignet, « et qu’y’avait deux p’tits os qui dépassaient ». Malgré sa dépendance à l'égard de Vilko pour accomplir certaines tâches pratiques comme mettre ses chaussures, monter un escalator, ou découper sa nourriture, la présence de Maud à l’écran est également normalisée, s’éloignant d’une représentation qui en ferait uniquement un objet de soin. Nous la voyons par exemple prendre un verre avec Vilko à une terrasse, diner avec lui dans un restaurant de luxe, ou effectuer des tâches ménagères par elle-même. Son autodétermination est plus apparente au début du film ; peu après son passage à l’hôpital, elle revient sur le tournage de son film, prenant des décisions sur la scénographie, les costumes, le cadrage, etc. Abus de faiblesse met également en lumière ce qui passionne Maud, comme le cinéma, mais aussi la gastronomie, le vin (qu’elle renifle en disant « il est sublime » au restaurant). Le film tient également à rappeler qu’un corps atteint d’une déficience n’est pas exempt de sensualité. Nous y sommes plus particulièrement sensibilisés lors de plans sur le torse nu et musclé de Vilko que Maud admire, ou bien lorsque Vilko la porte pour l’aider à monter dans sa voiture, et qu’elle dit : « faut bien qu’y ait un avantage d’être infirme ».
Abus de faiblesse puise ses forces dans sa représentation non stigmatisante et spécifique de la paralysie. Cependant les motivations du personnage déficient sont parfois floues et difficiles à situer dans l’intrigue générale du film.