En équilibre (Denis Dercourt, 2015)
Marc Guermont, cascadeur équestre, se retrouve en chaise roulante à la suite d'un accident sur un tournage: désarçonné de son cheval Othello, il est piétiné par celui-ci. Florence est chargée du dossier d'indemnisation de la compagnie d'assurances, mais Marc refuse le compromis proposé. De son côté, Florence supporte de plus en plus difficilement les pressions exercées par sa compagnie à l'encontre de Marc, qu'elle va finalement protéger de la malhonnêteté des assureurs. Elle se prend d'affection pour Marc, qui est déterminé à remonter sur son cheval, et qui va lui redonner la passion du piano.
Inspiré de la vie de Bernard Sachsé
Pays de production: France
Présentation du/des personnage(s) déficient(s)
Marc Guermont, cascadeur équestre à succès dans le cinéma français. Marc gère sa propre entreprise de formation de cascadeurs équestres. Il est piétiné par son cheval, Othello, sur un tournage de film médiéval, accident qui le paralyse au bas du corps. Peu à peu, il parvient à réapprivoiser Othello et se remet à son travail d’entraineur de cascadeurs, son employeur acceptant de le réembaucher lorsque ses prestations d’invalidité s’épuisent.
Regard porté sur la déficience
En équilibre explore la relation entre Marc et Florence. Ils font connaissance lorsque cette dernière est chargée par sa compagnie d’assurance de convaincre Marc d’accepter la responsabilité de son accident afin que la compagnie d’assurance ne soit pas tenue de lui payer une indemnité. Peu à peu, Marc et Florence tombent amoureux et cette dernière se rend compte du rôle de la compagnie d’assurance pour laquelle elle travaille dans la situation financière de Marc, qui connait des difficultés importantes car il ne peut pas recevoir de prestations d’indemnités tant qu’il est en médiation avec la compagnie.
Le film met en lumière les lacunes du système légal français, système dans lequel les entreprises ont le pouvoir d’exploiter les personnes rendues invalides suite à un accident de travail, et il nous sensibilise à la difficulté de se frayer un chemin à travers ce système. Marc est tenu responsable de son accident, ce qui l’oblige à continuer de travailler même en étant paralysé. Marc souligne l’inhumanité du système d’assurance lorsqu’il refuse d’entrer en médiation avec la compagnie et dit : « J’ai perdu mes jambes, pas ma tête. Vous direz à votre compagnie d’arrêter de me prendre pour un con ». En sensibilisant le public au quotidien de Marc et aux difficultés auxquelles il doit faire face, le film nous amène à percevoir les difficultés financières de Marc comme étant le résultat de systèmes sociaux et légaux défaillants. La société d’assurance, elle, insiste sur le fait que « Marc a pris des risques inconsidérés », utilisant ce raisonnement pour refuser de lui payer les indemnités qu’elle lui doit. Marc rétorque : « Prendre des risques c’est tout le cœur de l’emploi d’être cascadeur ». Cette défaillance est d’ailleurs présentée comme systémique, puisque Florence est poussée par son patron à « faire signer [à Marc] les documents admettant sa culpabilité au plus vite », l’encourageant à être plus persistante et manipulatrice, prenant comme exemple un de ses collègues qui est parvenu à convaincre un accidenté du travail dans son lit d’hôpital à renoncer à poursuivre son employeur en justice. L’approche déshumanisante de la compagnie d’assurance est d’autant plus frappante qu’elle saisit Othello, le cheval de Marc, afin de faire pression sur lui lorsqu’il n’a pas les moyens de les payer.
En équilibre tente de sensibiliser le public à l’accident de Marc qui rend ce dernier paraplégique. Lors de la scène de flashback de l’accident, Othello est surpris par une explosion programmée sur le plateau de tournage, faisant tomber Marc. Othello s’abat ensuite sur le dos de Marc, lui brisant la colonne vertébrale. La mise en scène – les ralentis, les plans cherchant à reproduire la désorientation de Marc, le son étouffé – sensibilise le public au traumatisme de l’accident. Le film met également en scène les aménagements spécifiques qu’utilise Marc, s’éloignant ainsi d’une spectacularisation de la déficience, puisque ces aménagements permettent à Marc d’être indépendant et d’exercer son travail comme il le faisait avant son accident. Par exemple, au plafond des étables dans lesquelles Marc travaille, il y a une corde accrochée près de son équipement d’exercice afin qu’il puisse se hisser de son fauteuil tout seul. On retrouve le même dispositif dans l’enclos extérieur où Marc donne des cours d’équitation, afin qu’il puisse monter à cheval par ses propres moyens. Il y a également une table haute munie de roulettes qui lui permet de se déplacer plus facilement qu’avec son fauteuil. Le recours au gros plan dans ces scènes souligne par ailleurs la force physique de Marc lorsqu’il se hisse sur le cheval. Ces dispositifs nous paraissent tout à fait significatifs en ce qu'ils représentent des outils non-spécialisés à la paraplégie que Marc a créé lui-même afin de rendre son quotidien plus facile.
La paraplégie de Marc n’est pas sursignifiée, tant au niveau visuel que narratif. Le film se focalise essentiellement sur ce que Marc peut accomplir. Premièrement, Marc exerce le même métier qu’avant son accident, sa paraplégie n’étant pas perçue par ses employeurs comme un frein à sa capacité d’entrainer les chevaux. Cet aspect est particulièrement frappant du fait de son travail physiquement exigeant. Plusieurs scènes mettent en évidence son habileté physique et sa personnalité; il a un tempérament calme, il est patient, confiant, et rassurant (« si tu sais pas le respecter [Othello] il va te dominer »), compétences mises en valeur lorsqu’il parvient de nouveau à monter Othello suite à l’accident qui les a traumatisés tous les deux. Marc est présenté comme un personnage confiant et son autodétermination est mise en avant par le film, comme lorsqu’il dit à un ami : « C’est moi et moi seul qui décide si un jour je remonterai à cheval. »
À travers l’histoire d’amour naissante entre Marc et Florence, le film s’éloigne d’une représentation dichotomique déficience/validité. La personnalité décontractée et sarcastique de Marc, qui exerce un métier qu’il aime, s’oppose à celle de Florence, qui est beaucoup plus sérieuse et qui se fait exploitée par sa compagnie (son patron lui confie le dossier de Marc car elle est « belle et séduisante » et l’encourage à plusieurs reprises à utiliser son charme pour duper Marc). Leurs personnalités se complètent, Florence reprenant confiance en elle et retrouvant la joie et la passion du piano grâce à sa relation avec Marc. Florence, quant à elle, aide Marc à ne pas se faire avoir par la compagnie d’assurance pour laquelle elle travaille en le mettant en contact avec une avocate qui le représente pro bono. L’optimisme de Marc se résume parfaitement par les répliques suivantes, lorsque Florence lui révèle la raison pour laquelle elle a arrêté le piano. Florence lui dit, « on fait pas nécessairement ce qu’on veut dans la vie », et Marc répond simplement, « Si ». La déficience n’est donc pas perçue comme une limitation parce que Marc ne la vit pas comme telle.
Les interactions entre Marc et les autres personnages sont également fondées sur l’interdépendance plutôt que sur la dépendance. Il enseigne le métier de cascadeur à son jeune apprenti, qui l’écoute avec attention. Sa femme lui dit aussi qu’il est très sollicité comme entraineur équestre dans sa communauté, sa paraplégie ne constituant pas un frein à sa capacité de poursuivre un métier physique qu’il exerçait à un très haut niveau avant son accident.
Le film n’est cependant pas optimiste à l’excès dans sa représentation de la paralysie, en ce qu’il illustre de manière réaliste les dangers liés au métier de cascadeur. Le film se penche aussi sur les séquelles psychologiques liées à la paraplégie du personnage, Marc éprouvant de la tristesse à ne plus pouvoir faire les mêmes cascades dangereuses qu’il faisait avant son accident. Finalement, Marc puise dans sa propre expérience afin de motiver Florence à reprendre le piano, lui disant « y’a pas de miracles, on peut pas magiquement reprendre où on en était avant. » Le film met donc en avant l’importance de s’adapter à sa déficience à son rythme, et de façon plus générale, de reconnaitre les différences entre la déficience et la validité sans faire de sa différence une marque d’infériorité.
En équilibre parvient ainsi à faire partager au public la subjectivité du personnage déficient et de son parcours, tout en cherchant à promouvoir une vision plus équitable de la société. En effet, les aménagements conçus par Marc jouent un rôle important dans le récit, établissant par le biais du visuel l’importance d’inclure les personnes paraplégiques/à mobilité réduite dans la conception de tels aménagements, aspect qui s’applique à l’inclusion de toutes les personnes déficientes dans la société.