Nationale 7 (Jean-Pierre Sinapi, 2000)
Dans un foyer pour déficients moteurs près de Toulon, le myopathe René, intelligent et cultivé, ne cesse d’être odieux avec ses congénères et le personnel. Un jour, il confie à son éducatrice, la compréhensive Julie, qu’il a un irrépressible besoin de faire l’amour. Devant la frilosité de la direction, l’éducatrice l’accompagne elle-même chez Florèle, une prostituée qui travaille le long de la nationale 7. Dès le lendemain, René redevient affable et serein. Ce qui donne l’idée à d’autres patients de suivre son exemple (enprimeur.ca)
Pays de production: France
Présentation du/des personnage(s) déficient(s)
René est myopathe. Cette maladie neuromusculaire se caractérise par une fragilité des muscles et entraine la déchirure des fibres musculaires à la moindre contraction. René se déplace indépendamment en fauteuil motorisé. Son fauteuil est démontable, des pièces telles que les accoudoirs pouvant être ajoutées, et il est adapté à la physionomie de René. Ce dernier est également diabétique.
Roland, un des amis de René, se déplace lui aussi en fauteuil motorisé ; un autre ami, Jean-Louis, est hémiplégique et se déplace en fauteuil roulant avec un levier qu’il actionne avec une main, lui permettant d’avancer tout seul.
Regard porté sur la déficience
Nationale 7 suit René, nous dévoilant son quotidien et, plus particulièrement, son désir d’avoir des relations sexuelles. Le film offre un aperçu intime de sa sexualité ainsi que de sa personnalité difficile. Tout au long du film, René est vêtu de chemises à carreaux de couleurs différentes. Plus tard, lorsqu’il se prépare pour son rendez-vous avec Florèle, il est vêtu d’un costume rose, il se coiffe, et une intervenante lui met de l’huile à barbe. Ainsi, René n’est pas entièrement défini par l’hémiplégie, et l’importance de l’aspect physique et de la confiance en soi pour les personnes à mobilité réduite est soulignée à plusieurs reprises. La chambre de René, au foyer, est décorée d’affiches et de photos de modèles en bikini, de stars du porno et de célébrités, ainsi que d’un poster de Karl Marx. Ces plans immergent le public dans son quotidien, normalisant ainsi son existence à l’écran. Ce quotidien consiste en des matchs d’échecs avec Roland, ou bien encore des cours d’arts plastiques et de chant avec les autres pensionnaires du foyer. Le film s’éloigne par ailleurs d’une représentation "idéaliste" ou excessivement "légère" du personnage déficient. Au début du film, René est difficile, belliqueux, grossier, et désagréable. Cependant, le personnage évolue : le lendemain de sa nuit passée avec Florèle, René commence à s’adoucir. Il devient plus aimable et compatissant, discutant avec une intervenante des problèmes maritaux de celle-ci. Il remplace également les posters de femmes nues sur son mur par une photo de Florèle. Bien que sa transformation soit soudaine, elle s’explique par la compassion que lui accordent Julie et de Florèle, qui priorisent sa sexualité et son autodétermination en l’aidant à éprouver une expérience sexuelle consentie et en accord avec ses attentes (c’est lui qui demande d’embaucher une travailleuse du sexe).
Le style cinématographique adopté par le film s’apparente à celui d’un documentaire et véhicule visuellement l’approche spécifique et subjective qu’adopte le film pour représenter la déficience. Les prises de vues sont souvent effectuée en caméra-épaule, ce qui donne lieu à un cadrage instable et crée une expérience plus immersive pour le.la spectat.eur.rice, comme lors des scènes mouvementées se déroulant dans le bus. Le cadrage serré sur le visage de René et l'utilisation du champ-contrechamp lors de conversations sensibilisent le public à ses émotions, comme lorsqu'on lui refuse une gaufre pour le petit-déjeuner à cause de son diabète. Dans cette scène, la caméra effectue un zoom sur son visage crispé et outragé lorsqu’il pousse les plateaux des autres pensionnaires, sans faire de gros plan sur son corps ou son fauteuil. Cette intimité entre le public et le personnage instaurée par la mise en scène nous permet d'avoir une compréhension plus juste de la subjectivité et des émotions de René lors de cette scène, en ce que nous sommes sensibilisé.e.s au sentiment de perte d’autonomie ressenti par le personnage à ce moment-là.
Nationale 7 tente également de déstigmatiser la sexualité des personnes à mobilité réduite/hémiplégiques en présentant les similarités entre la vie sexuelle de René et celle de Julie. Dans le film, Julie a des rapports sexuels occasionnels avec deux hommes. Lors d'une de ces rencontres, l’homme fait une réaction allergique au chat de Julie et doit partir, interrompant brusquement leurs relations. Le film semble alors établir un lien entre les difficultés rencontrées par Julie dans ses relations amoureuses et sexuelles et celles vécues par René (il est impuissant), bien qu'elles aient des causes différentes. La transformation de René découle en grande partie de sa nouvelle autonomie sexuelle, celui-ci éclatant de rire lorsqu’il « à la trique » après avoir pris du Viagra et qu’il plaisante, « je rentre plus dans mon pantalon ! »
Le film met en scène plusieurs relations d’interdépendance entre les pensionnaires et les éducateurs, les pensionnaires n’étant pas perçus comme de purs objets de soin. Les pensionnaires et les éducateurs déjeunent ensemble dans la grande salle à manger du foyer, ils se tutoient, Julie accueille chaque pensionnaire chaleureusement, entrant dans leur chambre le matin pour les réveiller, elle lit un livre à voix haute à une autre jeune femme, etc. Dans un extrait, Julie et René font des courses ensemble et Julie monte sur l’arrière de la chaise de René pendant qu’il porte le panier de course sur ses jambes. La déficience n’est donc pas sursignifiée, en ce que la personne déficiente n'est pas représentée comme évoluant dans un monde radicalement opposé à celui des personnes valides. Au lieu de cela, le film privilégie le groupe et l'entraide entre le personnel du foyer et ses résident.e.s.
Le film adopte une approche spécifique pour représenter l’hémiplégie de René à l’écran, illustrant tout autant ses compétences que les limitations imposées par sa condition, et mettant en images les aménagements nécessaires à son quotidien. René peut se pencher en avant avec un peu de difficulté, son bras droit étant paralysé mais pas son bras gauche ; il peut se lever de son lit tout seul par la force de son torse et de son bras gauche, mais sa mobilité est réduite à cause de sa paralysie du côté droit et de sa jambe gauche.Il a par exemple besoin d’aide afin de descendre de son lit, comme l'illustre une scène du film. Sa dépendance n’est cependant pas sursignifiée, puisque l’éducatrice vient l’aider sans un mot puis quitte sa chambre, son approche décontractée normalisant un tel besoin. La motricité de René est également atteinte, ce dernier rencontrant des difficultés de motricité fine (lors du diner, Julie manipule sa main et ses doigts délicatement afin de l’aider à se saisir de ses ustensiles). René boit également à l’aide d’une paille à cause de ses difficultés motrices, et le film souligne les aménagements simples qui facilitent son quotidien et qui promeuvent son indépendance. Ces éléments scénaristiques s’éloignent ainsi d’une spectacularisation de la déficience en ce qu'ils soulignent l'importance de tels aménagements pour maintenir l'individu dans la dignité et le respect, plus qu'ils ne cherchent à mettre en avant une "différence" entre la personne déficiente et les personnes valides. En effet, durant tout le récit, le film s'attache à illustrer de manière réaliste les aménagements nécessaires à René: il se déplace indépendamment en fauteuil motorisé qu’il contrôle avec la main gauche, et l’appui-tête de son fauteuil est adapté à la physionomie de sa tête et de son cou, afin de lui offrir un certain confort. Le fauteuil a aussi des appuis amovibles près de ses cuisses qu’il peut enlever tout seul et à sa guise. Julie s’assure aussi que la caravane de Florèle soit assez large pour accommoder le fauteuil de René, considération qui l’humanise puisque cela évite de devoir le soulever de son fauteuil, ce qui lui accorde une certaine intimité et autonomie. Une rampe d'accès est d'ailleurs installée devant la caravane de Florèle à cet effet.
Globalement, Nationale 7 aborde la sexualité et la déficience sur un ton léger et parfois comique, mais jamais au détriment des personnages déficients ou de la réalité de leur vécu.