La Ligne Droite (Régis Wargnier, 2011)
Quelques jours après sa sortie de prison, Leïla fait la rencontre de Yannick, un jeune athlète qui a récemment perdu la vue dans un accident d’automobile. Pendant que Leïla essaie de recoller les morceaux de sa vie, Yannick l’entraîne à ses côtés sur la piste de course, où il lui demande de lui servir de guide pour ses compétitions à venir. Ces entraînements leur permettent, à l’un comme à l’autre, de se reconstruire et d’envisager enfin leur future avec optimisme. Mais là où les mensonges et les sentiments s’entremêlent, il y a toujours des bouleversements à craindre. Il leur en faudra, du courage, pour finalement passer le fil d’arrivée (Cinoche.com).
Pays de production: France
Présentation du/des personnage(s) déficient(s)
Six mois avant le début du récit, Yannick a perdu la vue après avoir heurté le pare-brise d’une voiture dans un accident de circulation. Martial, un athlète non-voyant, s’entraine aussi pour les compétitions à venir à l’aide d’un guide, et d’autres athlètes avec une cécité participent aussi à la compétition Handisport. Les autres athlètes dans le film sont incarnés par de véritables athlètes aveugles.
Regard porté sur la déficience
La cécité de Yannick n’est pas sursignifiée ni représentée comme étant un frein à ses capacités physiques. De nombreuses scènes présentent en effet Yannick en plein entraienement sur le terrain d’athlétisme, et le film souligne à plusieurs reprises - par le biais de la mise en scène - l’effort physique nécessaire pour pratiquer l’athlétisme à un haut niveau. Les gros plans sur les traits de son visage sensibilisent ainsi le public à ses émotions : son énervement et son désespoir au début, lorsqu’il peine à courir en ligne droite, puis, plus tard, sa confiance, sa fierté et sa concentration lorsqu’il s’améliore. Yannick est caractérisé comme étant tout aussi physiquement capable et déterminé qu’un athlète non déficient. Le public suit son adaptation progressive à sa cécité et les arrangements nécessaires afin qu’il puisse continuer à pratiquer l’athlétisme de haut niveau, sa détermination prenant le pas sur les difficultés qu’il rencontre. Yannick est aussi perfectionniste et optimiste, ne se laissant pas décourager par les obstacles qui se dressent devant lui : « Tous les grands athlètes ont un point commun : ils se sont construits dans la lutte contre quelque chose. Ils abandonnent jamais, comme si le mauvais sort pouvait les rattraper. » C’est Yannick qui fait confiance à Leila et qui lui propose de s’entrainer ensemble malgré le scepticisme initial de celle-ci. Au fil des mois, Yannick prend confiance en lui et les inscrit tous deux à la compétition Handisport, déterminé à gagner (« On va courir et on va gagner. ») Yannick n’est en aucun cas un agent passif dans l’accomplissement de ses objectifs, et le film illustre son parcours de façon réaliste, tout en valorisant son point de vue.
La Ligne Droite souligne ce que Yannick est capable d'accomplir, tant au niveau physique qu’intellectuel. Il emmène par exemple Leila faire du hors-bord près de sa maison d’enfance et lui apprend également à mener un bateau. Yannick essaie tout d'abord de le faire lui-même, sa mémoire musculaire intacte, mais manque de percuter un autre bateau. Lorsqu'il instruit Leila sur la manière de mener le bateau, Yannick s'appuie sur sa mémoire du panneau de contrôle du bateau ainsi que de l'environnement familier (« tu vois une maison blanche devant toi ») pour la diriger. La cécité n’est donc pas représentée comme un obstacle pour pratiquer plusieurs activités physiques variées. Lors d’une autre scène-clé, Yannick parvient à surmonter certains de ses blocages psychologiques, courant de plus en plus vite sur la plage, et ayant retrouvé un sentiment de liberté et d’autonomie grâce à son partenariat avec Leila. À la fin du film, Yannick et Frank (le guide qui remplace Leila lorsque celle-ci est blessée) remportent la victoire.
Le public est aussi sensibilisé à la manière dont Yannick fait l’expérience de sa cécité. Au début de l’histoire, il a du mal à s’adapter à sa nouvelle réalité, réagissant avec colère lorsque son ancien entraineur le laisse tomber. Le film critique le positionnement pessimiste et décourageant de l’entraineur - celui-ci étant convaincu que « c’est foutu, il retrouvera jamais la vue » - juxtaposant cette attitude défaitiste avec l’approche beaucoup plus décontractée et encourageante de Leila. En cela, le film pose un regard critique sur les individus capacitistes qui perçoivent la cécité de Yannick comme un "manque". Le film cherche avant tout à nous sensibiliser à son parcours ainsi qu'à ses émotions. Yannick exprime ainsi à Leila les inconvénients et la gêne qu’il ressent d’être uniquement perçu sous le prisme de sa cécité : « Je ressens tout : leur pitié, leur gêne, les précautions qu’ils prennent. Ils me rendent encore plus infirme que je le suis. Je supporte pas ce fil pour courir, au lieu de me rassurer ça me file la panique. Comme si j’étais prisonnier. » Dans une autre scène, la mère de Yannick vient assister à leur entrainement, sans informer son fils. À son arrivée, Yannick devient distrait et anxieux, ce qui nuit à son entrainement : « J’ai l’impression d’être au cirque, au zoo. » Puis, il se fâche contre Leila, se sentant objectivé par l’exercice qu’ils font ensemble et l’imitant d’un ton sardonique : « Tu cours vers ton maître comme un chien, en aboyant. » Leila accepte ses commentaires et arrête immédiatement l’exercice sans dire un mot de plus, le laissant choisir l’exercice suivant. Ces scènes mettent en avant l’importance d’inclure les personnes aveugles (et les personnes déficientes en général) dans les services et les aménagements qui leur sont destinés.
La relation entre Yannick et Leila est fondée sur l’interdépendance plutôt que la dépendance. Ils s’aident mutuellement à redécouvrir la joie et développent peu à peu une relation amoureuse. Ils sont tous les deux expérimentés dans le domaine du sport de compétition, Leila ayant pratiqué l’athlétisme et le judo de haut niveau dans sa jeunesse, et Yannick étant un athlète spécialisé dans la course de 400m relais avant son accident. Une des conditions les plus importantes afin de pouvoir guider et être guidé que le film soulève est la compatibilité physique: l’écoute, les réflexes, et le bon conditionnement physique étant aussi cruciaux pour Yannick que pour Leila. Ils sont aussi tous deux sous-estimés et rejetés par la société. Leila rencontre des difficultés à réintégrer la société à cause de son casier judiciaire et Yannick est sous-estimé dans le milieu sportif à cause de sa cécité. Comme le dit Yannick, leurs parcours respectifs s’inscrivent « dans la lutte ». Au début du film, Yannick est découragé par sa cécité et c’est Leila qui lui redonne la motivation nécessaire ; puis, lorsque Leila est débordée et accablée par ses problèmes personnels et qu’elle veut abandonner leur entrainement, c’est lui qui lui redonne la force et qui la convainc de continuer. Il l’encourage à s’ouvrir et à lui faire confiance, tout comme elle l’a aidé à s’adapter à sa cécité.
Leur méthode d’entrainement est aussi fondée sur l’interdépendance et l’égalité, Yannick étant aussi physiquement actif et investi que Leila lors de leurs entrainements. Les gros plans effectués sur leurs membres lors de ces scènes mettent en avant ce sentiment d’égalité, la cécité de Yannick n’étant pas sur-signifiée, et ce malgré les cicatrices visibles près de ces yeux causées par l’accident. L’accent mis sur le toucher tout au long du film véhicule aussi cette interdépendance physique et morale entre les deux personnages et illustre l'évolution de leur relation. Au début, Yannick est plus ouvert que Leila, tendant sa main et s’appuyant sur son épaule lorsqu’il se sent désorienté. Initialement réticente, Leila va progressivement s'ouvrir à cette forme d'intimité physique, comprenant l’importance de la disponibilité émotionnelle et du toucher dans leur relation guide-athlète. Comme le dit Frank - le guide expérimenté de Martial - à Leila « il faut le guider tout en te laissant emmener. » Ces exercices ne tentent ainsi pas de combler la cécité de Yannick ; au contraire, Leila s’adapte à sa déficience afin de lui apporter un entrainement adéquat, misant sur ces capacités physiques et sensorielles. Ils augmentent petit à petit la difficulté des exercices, et le public voit à quel point cette approche spécifique et individuelle stimule et améliore le conditionnement physique de Yannick. Ces scènes soulignent l’importance de la proximité physique et de la confiance réciproque pour le bien-être émotionnel et physique d’un athlète aveugle/déficient. Par exemple, lorsque Leila est inquiète lors d’un de leur entrainements, Yannick est moins performant, trébuchant et devenant anxieux et irrité, car il est à même de capter les émotions de Leila, même si elle ne les exprime pas ouvertement. Puis, lorsque Leila ne peut plus s’entrainer avec Yannick et que celui-ci doit poursuivre avec un nouvel entraineur, nous voyons à quel point ces liens se construisent peu à peu et dépendent majoritairement de la compatibilité entre l'athlète et son guide. Le nouvel entraineur sous-estime les capacités sportives de Yannick à cause de sa cécité et exprime ouvertement ses préjugés capacitistes (« Vous croyez aux miracles ? »), allant même jusqu'à menacer physiquement Yannick (« Vous avez la chance d’être non-voyant, sinon j’vous foutrait mon poing dans la gueule. ») lorsque Yannick se défend. Comme l’explique Frank, « ça suffit pas de courir l’un avec l’autre, il faut aussi courir l’un pour l’autre. » Dans la dernière scène, Yannick court vers les gradins du stade où se trouve Leila et ils partagent un moment intime, leurs fronts se touchant, communiquant ainsi non-verbalement leur accomplissement partagé.