Les Amants du Pont-Neuf (Leos Carax, 1991)

Résumé du film

Alex vit sur le Pont-Neuf, à Paris, auprès de Hans, son vieux compagnon, qui l'aide à trouver le sommeil. Leur vie est perturbée par l'arrivée de Michèle. Michèle perd la vue, et Alex découvre l'amour. Ensemble, ils vivent, rient, boivent, dansent au rythme des orchestres parisiens et sous les lumières des commémorations du bicentenaire de la Révolution française (Wikipédia).

Les Amants du Pont Neuf affiche
Type de déficience
Date de sortie
1991-10-16
Genre cinématographique
Principal ou Second Rôle
Principal
Analyse

Présentation du/des personnage(s) déficient(s)
Michèle (24 ans) est une artiste peintre contrainte de vivre dans la rue à la suite d’une relation qui s’est mal finie. Elle est atteinte d’une maladie rare qui la rend progressivement aveugle. sa cécité progresse au cours du film, et son état psychique se détériore rapidement du fait de vivre à la rue.
 
Regard porté sur la déficience
Les Amants du Pont-Neuf nous présente le quotidien d’Alex, de Michèle et de Hans, trois itinérants vivant sur le Pont-Neuf pendant que celui-ci est fermé au public pour construction. La maladie dégénérative rare dont Michèle est atteinte lui fait perdre la vue progressivement, et le public découvre la vie parisienne nocturne à ses côtés. Michèle ne se laisse cependant pas vaincre par la maladie : elle profite de la vie et partage ces moments avec Alex. Ils font un tour de grande roue, elle dessine Alex, elle fait du ski nautique à l’arrière d’un hors-bord sur la Seine pendant la nuit, ils dansent ensemble sur le Pont-Neuf lors des feux d’artifice. Globalement, le film met davantage accent sur les moments ludiques et intimes qu’ils partagent et sur leur amour réciproque. Michèle n’est pas représentée comme une personne dépendante du fait de sa déficience, ni comme étant entièrement définie par sa cécité progressive : elle est au contraire montrée comme une jeune femme passionnée, douée, artistique, affectueuse, endurcie et confiante.
Le film ne sursignifie pas non plus la cécité progressive de Michèle, les situations difficiles vécues par cette dernière et Alex soulignant plutôt leur expérience commune de la précarité. En effet, la misère joue un rôle thématique plus important dans le film que la déficience. Au début du film, Alex est renversé par une voiture et se retrouve dans un hôpital public saturé, où se côtoient des personnes démunies et des malades, et où il est trainé nu sur le sol par des aides-soignants. Par conséquent, cet endroit renvoie plus à une prison qu’un hôpital. Alex en ressort avec un plâtre à la jambe et parvient à s’adapter rapidement à cette nouvelle contrainte, son parcours faisant quelque peu écho à celui de Michèle, tous deux parvenant à ne pas se laisser abattre par des situations personnelles difficiles. Lors d'une scène marquante, nous les voyons courir à toute vitesse dans les couloirs du métro parisien, se faufilant entre la foule dense malgré leurs limitations physiques respectives. 
Les Amants du Pont Neuf tente néanmoins de sensibiliser le public à la perte progressive de la vue. Premièrement, le film cherche à sensibiliser le public à la manière dont la perte progressive de la vision affecte Michèle, sans pour autant tenter de "transcrire" visuellement la subjectivité de l'expérience du personnage. Ainsi, la frustration du personnage passe principalement par le dialogue, comme lorsque Michèle dit : « Les gens c’est des flammes très floues ; ils s’agitent devant mon œil, et j’en ai marre. » Michèle s’exprime sur sa propre expérience sans que le film ne cherche à généraliser sa représentation de la cécité à toute personne ayant cette déficience. Deuxièmement, le film se focalise également sur la manière dont cette perte progressive de la vision a un impact sur les émotions, la qualité de vie et les sensations de Michèle. Michèle anticipe la perte de la vue et le film illustre les répercussions de cette déficience sur son travail de création artistique. Par exemple, elle ne peut plus aller voir les peintures exposées au musée : « J’suis allée au musée là-bas, voir un tableau au 2e étage. J’suis allée le voir une dernière fois avant de plus rien voir. Ils ont foutu un tube électrique [dessus] qui brûle l’œil. Ça fait trop mal, j’ai pas pu regarder le tableau. » Plus tard, en peignant des symboles en jaune sur une partie du Pont-Neuf, elle dit : « Si j’essaie de peindre, j’ai cet œil-là qui sort de ma tête comme un escargot. » Un gros plan nous montre alors son œil injecté de sang, presque entièrement noir, larmoyant et sortant de son orbite. Le film ne fait donc pas l’impasse sur la douleur ressentie par Michèle, ni sur les limitations que sa maladie lui impose. Nous remarquons également à quel point la progression de la cécité impacte le moral, l’autonomie et l’apparence de Michèle : elle perd du poids, ses dents jaunissent, alors qu’au début du film, elle prêtait plus attention à son apparence. Elle est aussi plus léthargique et désorientée, comme lorsqu'elle fait accidentellement tomber la tirelire des mains d’Alex et que tout leur argent tombe dans la Seine. À la suite de cela, elle s’insulte : « P’tite conne de maladroite, merde, aveugle ! », nous indiquant qu’elle accepte mal sa cécité. Le film laisse aussi entendre qu'une des raisons pour lesquelles Michèle a des difficultés à accepter sa cécité est que celle-ci la rend plus vulnérable dans un environnement qui lui est déjà hostile (comme le dit Hans : « la femme qui vit dehors, elle est battue, elle est violée, elle boit, elle a plus de règles. ») En cela, le film ne cherche pas à éluder les difficultés liées à la cécité sur le plan psychologique et sensoriel, mais il les contextualise en s'attachant davantage aux répercussions que cette déficience peut avoir pour une jeune femme vivant dans la précarité. 
La détérioration de la vision de Michèle entraine une plus grande dépendance de sa part envers Alex. Vers la fin du film, nous remarquons que Michèle rencontre des difficultés à se déplacer toute seule : elle s’appuie fréquemment sur Alex et est toujours à ses côtés lorsqu’ils marchent ensemble dans les rues de Paris. Dans son ensemble, il nous apparaît que la représentation de la cécité choisit de s'intéresser à la subjectivité du personnage qui en fait l'expérience, s’éloignant ainsi d’une vision stigmatisante de la déficience, et mettant en avant l’entraide et l’interdépendance. Hans, Alex et Michèle s’aident mutuellement malgré leur différence d'âge, partageant leurs ressources (nourriture, alcool, couvertures) et occupant la même tranche du Pont. Lorsque Michèle ne peut plus supporter la lumière du jour et qu’elle ne peut plus aller au musée pendant les heures d’ouverture, Hans - qui était auparavant agent de sécurité au musée – la fait entrer clandestinement, ayant gardé une copie des clés. Il la porte sur ses épaules afin qu’elle puisse voir la peinture de près. Un gros plan nous montre alors le visage concentré et l’œil bombé de Michèle, qui s’efforce de voir le tableau bien qu’il soit à quelques centimètres d’elle. Cette scène nous sensibilise à l’étendue de sa cécité et de l’importance de ce geste pour Michèle, pour qui la cécité progressive représente une perte de son identité en tant qu’artiste.
Les Amants du Pont-Neuf nous présente donc une histoire d’amour entre deux individus réunis par des parcours de vie difficiles. Le film tente plus particulièrement de sensibiliser le public au quotidien de personnes déficientes en s'intéressant aux répercussions qu'une déficience telle que la cécité peut avoir sur un individu vivant en grande précarité.