L'Enfant sauvage (François Truffaut, 1970)

Résumé du film

Un jour d'été 1798, un garçon "sauvage" de onze ou douze ans est trouvé, nu, dans une forêt de l'Aveyron, dans le sud de la France. Il est poursuivi et attrapé par un groupe de chasseurs qui l’emmènent dans un village où on l’attache par le cou et où on l’utilise comme une bête de foire. L’enfant est muet et semble ne pas comprendre ce qu’on lui dit, ayant apparemment grandi seul dans la forêt. Il est amené à Paris et placé à l'Institut national des sourds et muets, où il s’isole des autres enfants, se débat, et dort par terre. Le docteur Jean Marc Gaspard Itard tombe sur un article qui relate la découverte de l’enfant, et décide de l’examiner avec son collègue, le professeur Pinel. Le docteur Itard prend le garçon en charge et le nomme Victor, puis l'emmène dans sa maison en banlieue parisienne. Durant neuf mois, sous la tutelle du docteur Itard et de sa gouvernante Mme. Guérard, Victor se socialise, apprend à marcher et parvient même à fabriquer de petits objets comme un porte-craie, un signe d’espoir pour le docteur Itard qui le surnomme "l’inventeur".
Ce film est une adaptation basée sur les textes Mémoires (1801) et Rapport sur Victor de l'Aveyron (1806) de Jean Itard. Victor de l'Aveyron est un "enfant sauvage" français ayant réellement existé. Il est rétrospectivement décrit comme un enfant autiste.

Pays de production: France

Enfant sauvage poster
Type de déficience
Date de sortie
1970-02-26
Genre cinématographique
Principal ou Second Rôle
Principal
Analyse

Présentation du/des personnage(s) déficient(s)
Victor est un garçon de onze ou douze ans trouvé dans la forêt. Son passé demeure un mystère, mais les professeurs qui l’examinent et l’étudient émettent l’hypothèse qu’il a été mutilé et laissé pour mort lorsqu’il avait trois ou quatre ans. Victor est muet, et l’"origine" de sa déficience, qu’elle soit innée ou bien le résultat d’un abus ou d’un traumatisme psychologique, est abordée dès le début du film. Les Docteurs Pinel et Itard sont en désaccord concernant l’origine du mutisme de Victor, et bien qu’il s’agisse de la "déficience" mise en avant dans le film, Victor doit surmonter d’autres difficultés d’ordre moteur, comme apprendre à marcher et à se laver, ainsi qu'une déficience d’attention. Selon le professeur Pinel, Victor est un "idiot". Il s'agit ici d'un terme médical de l’époque qui décrivait la condition de personnes qui avaient un quotient intellectuel très bas, et était plus spécifiquement utilisé pour qualifier les enfants ainsi que les adultes non-verbaux. Le docteur Itard tente d’apprendre à Victor comment s’intégrer dans la société, et, peu à peu, grâce aux enseignements de son tuteur, Victor devient un enfant "civilisé". Il apprend à s’exprimer et à communiquer par des gestes, s'appuyant principalement sur sa tactilité et son odorat, les deux sens les plus développés chez lui. Il acquiert également des connaissances rudimentaires de logique et d’écriture, mais à la fin du film, hormis la prononciation de quelques mots et de vocalisations non-lexicales, Victor demeure muet.

Regard porté sur la déficience
Au début du film, la découverte et la capture de Victor sont "sensationnalisées": Victor est photographié par les médias, les chercheurs l’observent comme un animal en cage, le déshabillent, et enregistrent tous les détails de sa physionomie. Bien que cela soit effectué dans le but de connaitre ses origines, leur approche est déshumanisante. Le Docteur Pinel détermine assez vite que Victor a été maltraité à cause de sa déficience, illustrant une tendance historique capacitiste qui consistait à abandonner ou à tuer des enfants (et des adultes) atteints de déficiences.
L’apprentissage de Victor, sous la supervision du Dr Itard, est basé sur un modèle de récompense simple semblable à celui utilisé pour dresser un animal. Par exemple, Itard lui apprend à prononcer le mot "lait", puis à copier son écriture, ce que Victor parvient à faire. Si Victor réussit, Itard lui donne un verre de lait. Sous le prétexte de lui « inspirer l’ordre la justice », mais certainement aussi pour satisfaire une curiosité de chercheur, Itard "trahit" Victor en le punissant injustement, « pour voir s’il aura la réaction de se révolter ». Comme espéré, Victor se révolte violemment, et Itard affirme alors qu’il « vient d’élever l’homme sauvage à toute la hauteur de l’homme moral par le plus tranché de ses caractères et la plus noble de ses attributions ». Peu après cet incident, Victor est de nouveau "trahi" lorsqu'Itard, lui ayant appris à associer sa canne et le port de son chapeau à des marches quotidiennes, s’habille pour aller chez le médecin mais ne laisse pas Victor l’accompagner. Le film présente donc la déficience dans un contexte précis, à une époque où l'approche scientifique sursignifiait la différence chez les personnes déficientes et marquaient cette différence comme un "manque" par rapport au reste de la société. Le film ne promeut cependant pas cette vision binaire de la déficience, puisqu’Itard en vient à découvrir les forces de Victor et à le considérer un peu comme un fils.
Tout au long du film, Itard tente de "remédier" aux "déficiences" de son élève : son mutisme, son agressivité, son aversion pour le contact visuel et physique avec les autres humains, sa motricité "sauvage" et brute semblable à un animal sauvage, etc. Il est clair que Victor n’est pas un "idiot", comme en témoigne sa création d'un porte-craie. Victor semble en effet posséder un processus cognitif qui lui est propre, et qui se caractérise par une difficulté particulière à la verbalisation, une dysrégulation émotionnelle (aussi appelée "fluctuation marquée de l’humeur") ainsi qu’une sensibilité particulière qui donne lieu à des réactions fortes. Ces différences nécessitent un autre mode d’apprentissage que celui appliqué dans le système scolaire français à l’époque. Au fur et à mesure que le film progresse, le public perçoit Victor moins comme ayant un "déficit" d’intelligence, mais simplement comme un enfant ayant besoin d’un apprentissage adapté. Le film adopte une approche spécifique face à la déficience, et met également en lumière les caractéristiques de Victor qui lui sont propres, comme sa créativité, son amour de la nature, ou sa sensibilité. Le film ne le définit donc pas entièrement par le prisme de sa déficience.
Itard est d’ailleurs très intéressé par la sensibilité différente de Victor, qu’il attribue à son état "sauvage". Itard essaie de "ramollir" Victor pour que celui-ci "acquière une sensibilité nerveuse". Lorsque Victor arrive chez Itard, il marche à quatre pattes et mange "comme un animal" en plongeant son visage dans son bol. Ces caractéristiques et cette physionomie "brute" le définissent, selon le Dr. Itard, comme un "sauvage". À ce sujet, il convient de noter que le film présente ces différences de motricité et de comportement comme "lacunes" à combler. Cependant, il est peu probable qu’elles soient directement liées à son mutisme, compte tenu du mystère entourant son passé : d’un coté, elles auraient pu apparaître comme mécanisme de survie suite au traumatisme subit dans son enfance et à sa vie dans la forêt, ou elles peuvent être la manifestation de son adaptabilité à une hypersensibilité à certains stimuli.
Par ailleurs, Itard affirme ne jamais avoir vu Victor pleurer, et lorsqu’il lui donne un bain à l’eau brûlante, Itard explique à Mme. Guérard que Victor « attrape la braise du feu avec ses doigts ». Que ce soit à cause d’une hyposensibilité (une sensibilité "anormalement" réduite aux stimuli sensoriels) survenue suite à des années de survie dans la nature, où bien qu'elle soit liée aux troubles du spectre de l’autisme (ou les deux), Victor a une sensibilité différente qui, selon Itard, doit être "modelée" afin que son élève puisse s’intégrer dans la société. Itard réitère ceci à Mme. Guérard lorsqu’il lui dit : « il nous entend sans nous écouter », et il lui dit également « nous allons lui apprendre à regarder et à écouter ». Pendant cet échange, Victor est confortablement assis dans le bain, faisant des bruits non-lexicaux sans prendre en compte les deux adultes, recroquevillé dans son monde intérieur. Plus tard dans le film, après avoir passé quelques mois sous la tutelle du Dr. Itard, Victor pleure pour la première fois lorsqu’il ne réussit pas un exercice. Victor est vraisemblablement triste, mais Itard, se réjouissant d’avoir «ramolli » son élève, le console tout en encourageant l’expression d’une telle émotion, lui disant, « C’est bien, Victor ». Itard semble donc valoriser l’expression d’une émotion au nom du "progrès", n’affichant que peu de considération pour les sentiments de Victor. À travers le comportement du Dr Itard, le film met en lumière l'exploitation et la déshumanisation des personnes déficientes par la science à l'époque, caractérisant donc la société et non Victor de "mal adaptée".
Dans cette adaptation d’un fait divers, l’étude du personnage de Victor est nuancée et réfléchie. Le film fait le portrait d’une déficience non-définie qui inclut des aspects moteurs, psychologiques, sensoriels, et d’apprentissage. La nature de cette déficience, qu’elle soit un trouble psychiatrique héréditaire, un trouble du spectre de l’autisme, ou le résultat de situations traumatiques vécues dans l’enfance, n’est jamais dévoilée. Le regard porté sur la déficience est, à un certain degré, un produit de l’époque, c’est à dire que la déficience de Victor est perçue comme un aspect de son état "sauvage" et quelque chose à rectifier afin qu’il puisse effectuer la transition d’un "sauvage" à "un homme civilisé". Le personnage doit donc se mouler aux normes de la société, qui perçoit sa différence comme un "manque" et une marque d’altérité. Sur un plan scénaristique, le personnage de Victor est bien développé ; le film illustre un parcours d’apprentissage et de conscience de soi réaliste. Le film dépeint les nuances de la déficience, et comment celle-ci fait partie du personnage (son caractère, sa communication verbale et non-verbale, ce qu’il aime et ce qu’il n’aime pas etc.) Victor présente non seulement les difficultés qui sont associés à l’autisme comme l’hypersensibilité, mais le film valorise aussi l’esprit créatif de Victor et son attention aux détails qui sont la manifestation de son autisme. Outre son autisme, le film représente aussi d'autres caractéristiques de la personnalité de Victor qui ne sont pas directement liées à l'autisme, tels que son affinité pour la musique et son affection pour Mme. Guérard et le Dr Itard. L’Enfant sauvage présente des questions complexes d’éthique sur le regard posé sur les déficiences et sur les approches d’intégration des personnes déficientes dans la société. Il donne une voix au personnage muet de Victor, et dépeint sa sensibilité complexe comme étant propre à son parcours.