Les Diables (Christophe Ruggia, 2002)
Après avoir été abandonnés par leur mère lorsqu’ils étaient enfants, Joseph et sa sœur Chloé, douze ans, passent d’un internat à l’autre dans l’espoir de retrouver leur maison et leurs parents. Joseph s’accroche au souvenir lointain d'une maison pittoresque, Chloé étant capable de la reconstruire en utilisant les morceaux de verre coloré brisés qu'elle emporte partout avec elle. Joseph est convaincu que Chloé peut les aider à retrouver leur maison, mais, errant dans les rues sans domicile fixe, ils finissent par être interpellés et renvoyés dans un autre internat.
Pays de production: France
Présentation du/des personnage(s) déficient(s)
Chloé, douze ans, la sœur de Joseph, est autiste non-verbale et communique majoritairement par des bruits non-lexicaux. Elle ne supporte pas qu’on la touche car elle a une hypersensibilité au toucher. L’autisme de Chloé n’est jamais explicitement mentionné, mais elle est présentée dès le début du film comme étant "différente", avec un comportement et une sensibilité "atypiques". Un psychologue qui observe Chloé dans le centre dans lequel ils sont hébergés la décrit comme "déficiente", sans pour autant nommer l'autisme de manière directe.
Regard porté sur la déficience
La représentation de l'autisme dans le film témoigne d’une méconnaissance de cette déficience ainsi que d’une absence d’empathie de la part du réalisateur. Le personnage de Chloé reflète la tendance cherchant à "tokéniser" et à déshumaniser l’autisme au cinéma. L’autisme n'est ici qu’un élément de l’intrigue et a davantage un rôle de faire-valoir dont le but est de valoriser le développement du personnage principal "valide". Par exemple, lorsque les enfants sont emmenés dans un centre spécialisé et se retrouvent séparés, le point de vue de Joseph, qui est convaincu que les médecins et les tuteurs leur veulent du mal, est valorisé et la mise en scène participe à faire de lui celui-ci le "sauveur" de Chloé. En effet, Joseph s'échappe du centre, trouve Chloé (qui se trouve dans un autre centre), agresse les infirmiers et s'échappe avec elle. Le point de vue de Chloé est ainsi complètement mis de côté dans le film. C’est le personnage de Joseph, et sa motivation "altruiste" à sauver Chloé et à retrouver leur maison d’enfance qui sont valorisés par le récit. La représentation de l’autisme de Chloé quant à elle est limitée à sa capacité à reconstruire la maison en utilisant des morceaux de verre brisés, ce qui, selon Joseph, les mènera à leurs parents. L'autisme sert donc principalement - voire exclusivement - d'enjeu scénaristique. Étant donné que Chloé ne prononce qu’un seul mot dans l’entièreté du film (« Joseph »), la déficience du personnage est principalement véhiculée par le jeu physique et par la communication non-verbale, plus spécifiquement par le biais de vocalisations non-lexicales non-nuancées. À cet égard, la représentation visuelle de la déficience est très limitée et généraliste. La sensibilité est un aspect bien documenté des troubles du spectre autistique ; l’hypo- et l’hypersensibilité se manifestent différemment pour chaque personne sur le spectre autistique. L’aversion du toucher en lien avec l’hypersensibilité qui lui est associée apparaît inconsistante dans la représentation de l’autisme telle qu'elle est faite dans Les Diables. Par exemple, l’aversion tactile de Chloé n'est jamais expliquée depuis son point de vue et semble uniquement servir à valoriser sa dépendance envers Joseph. Par ailleurs, plusieurs scènes sur-signifient la dépendance et la différence de Chloé, comme lorsqu'elle se nourrit directement dans les mains de Joseph. La raison de tels comportements n'est jamais explicitée, car nous la voyons toucher de la nourriture de ses propres mains au début du film. Les Diables valorise plutôt la maturité, la patience, et l’altruisme de Joseph, au détriment de la représentation du personnage de Chloé. La dépendance de celle-ci vis-à-vis de Joseph est constamment réitérée, l'interdépendance esquissée au début du film n'étant que superficielle. Joseph exprime à plusieurs reprises le fait qu'il doit « protéger » et « sauver » Chloé. Cette dernière apparaît ainsi comme un stéréotype de "savant autiste" qui a la clé pour retrouver leurs parents, mais qui apparaît comme étant complètement dépendante de Joseph pour se nourrir, s'habiller, se laver, etc. Le film se construit en partie sur l’idée que son "savantisme" est une forme de "rédemption" qui viendrait palier ses troubles de comportement et ses difficultés à communiquer en lien avec son autisme. Autisme qui est spectacularisé pour réitérer cette situation de dépendance envers Joseph, comme lorsqu'elle se retrouve nue sous la douche dans le noir, apparement incapable de se laver ou d'arrêter la douche, car Joseph n'est pas là pour lui dire quoi faire. Celui-ci apparaît à la fin de cette scène troublante et lui vient en aide en la recouvrant et en l'habillant.
Chloé a des "crises" violentes très courtes à plusieurs reprises, pendant lesquelles elle essaye de se mutiler ou de faire du mal à Joseph en le tapant ou lui donnant des coups de poings. Ces "crises" soudaines, sans aucune provocation apparente, ne sont jamais contextualisées ni justifiées par le récit, et le film ne cherche pas à communiquer au public la façon dont Chloé les ressent émotionnellement ou d'un point de vue sensoriel, ce qui contribue à stigmatiser l'autisme.
La représentation de Chloé à l'écran est ainsi très limitée. Sa violence, trait de caractère récurrent dans le film, semble la définir et sert uniquement d'enjeu scénaristique dont le but est de mettre en avant les traits de caractère de Joseph. Elle est également représentée comme un fardeau, puisque la patience et la maturité de Joseph sont juxtaposées avec les comportements plus "immatures" de Chloé, ce qui indique une perception normative de l'autisme, où ce dernier est perçu à l'aune de la validité. De plus, le récit présente l'autisme de Chloé comme étant la raison pour laquelle les enfants ont été abandonnés par leurs parents, dans une scène durant laquelle leur mère vient les voir et Joseph lui demande, « C'est à cause de Chloé, c'est ca ?! ». Étant donné que le point de vue et la personnalité de Joseph sont valorisés tout au long du film, le public est invité à partager son point de vue, ce qui a pour effet de représenter l'autisme de Chloé comme étant une "barrière" dans le parcours de Joseph. Chloé est donc déshumanisée, tant sur un plan visuel que narratif. Les Diables nous semble en cela être un exemple frappant de la manière dont un film peut s'approprier la déficience comme thématique principale sans l'aborder de manière respectueuse ou juste. Bien que les difficultés sensorielles liées à l’autisme soient montrées à l’écran et que le personnage de Chloé joue un rôle important dans le déroulement du récit, la représentation qui est faite de l'autisme est inconsistante et déshumanisante, et le film ne tente jamais de sensibiliser le public aux spécificités de cette déficience ni au vécu de la personne qui en fait l'expérience. Dans l'ensemble, Les Diables spectacularise l'autisme comme un état "hors-normes", ce qui tient le public à distance du personnage déficient, véhiculant ainsi une vision stigmatisante de l'autisme.