Hasta La Vista (Geoffrey Enthoven, 2011)

Résumé du film

Philip, Lars, et Josef sont trois amis d’une vingtaine d’années qui aiment le vin et les femmes, mais sont encore vierges. Ils ont tous les trois des déficiences physiques ; Philip et Lars ont chacun une déficience motrice et se déplacent en fauteuil motorisé, tandis que Josef a une cécité partielle. Lars n’a que quelques mois à vivre, et les trois hommes veulent partir en voyage ensemble. Sous prétexte d’une route des vins, ils embarquent pour un voyage en Espagne dans l’espoir d’avoir leur première expérience sexuelle. Rien ne les arrêtera... (AlloCiné)

Pays de production: Belgique

Hasta La Vista Affiche
Type de déficience
Date de sortie
2011-09-02
Genre cinématographique
Principal ou Second Rôle
Principal
Analyse

Présentation du/des personnage(s) déficient(s)
Philip est tétraplégique, Lars souffre d’une tumeur cancéreuse qui affecte ses capacités motrices, et Jozef est aveugle. Une lésion de la moelle épinière empêche Philip de marcher et il ne peut utiliser ses mains et ses bras que de façon limitée : il ne dirige son fauteuil roulant que d’une seule main ; incapable de dactylographier, il se sert d’un appareil qu’il tient avec sa bouche pour écrire. Atteint d’une tumeur cérébrale en phase terminale, Lars doit lui aussi se déplacer en fauteuil roulant (il souffre d’une paralysie croissante avec des attaques). La déficience de Lars est dégénérative, il reçoit un diagnostic négatif au début du film. N’ayant que quelques semaines à vivre, il est d’autant plus motivé à partir en voyage avec ses amis et à perdre sa virginité. Jozef, lui, a une cécité, mais ne semble pas être complètement aveugle puisqu’il utilise une loupe adaptée pour lire.

Regard porté sur la déficience
Hasta la vista présente trois personnages avec des déficiences variées. Dans le film, Philip et Lars sont "les yeux" de Jozef, même si ce dernier a une cécité partielle et qu’il est plus au moins indépendant. Lars est le seul pour lequel il est mentionné qu’il y a eu un "avant" et un "après" la déficience. Le film ne représente cependant pas la déficience comme un fardeau, et il ne juxtapose pas l’avant et l’après du cancer de Lars. Au lieu de cela, il valorise l’interdépendance des trois jeunes hommes et indique la capacité de ces individus à s’entraider dans une société où il existe encore trop peu de services adaptés, comme le souligne la scène où les portes d’un l’hôtel sont difficiles à ouvrir, tant pour une personne avec une cécité que pour une personne ayant une déficience motrice.
Le film présente plusieurs facettes de la vie des garçons ainsi que les outils qu’ils utilisent dans leur quotidien afin de normaliser les arrangements nécessaires à leur qualité de vie : nous voyons Philip utiliser un pointeur afin de taper à l’ordinateur et Jozef se servir d’un monoculaire afin de lire et de regarder la télévision. Lorsque les trois garçons décident de partir en voyage en Espagne afin de découvrir leur sexualité, il leur faut également des aménagements adéquats : un personnel soignant pour les accompagner et leur servir de chauffeur, mais également un minibus adapté avec une rampe rétractable.
Nous observons les approches complètement différentes des trois familles vis-à-vis de la déficience de leur enfant : la mère de Jozef vit principalement pour lui et lui accorde toute l’attention dont elle est capable ; son fils est le centre de son monde. Les parents de Philip sont plus décontractés et normalisent sa déficience en l’encourageant à être « comme les autres ». Enfin, les parents de Lars sont les plus inquiets : en plus du fait que la condition de Lars nécessite des soins médicaux constants, ils sont extrêmement protecteurs de leur fils, le surveillant étroitement tant sur le plan psychologique que physique. Cette palette variée de personnages nous permet d’observer comment chaque famille, chaque individu, aborde la déficience. Elle permet aussi de la "normaliser" comme une condition de l’être parmi d’autres.
Malgré l’omniprésence de la déficience sur un plan visuel, le film met davantage l’accent sur les caractères des personnages afin de faire ressortir leur personnalité unique : Philip est le leader du groupe, amateur d’humour noir et colérique ; Jozef est le sage, gentil et respectueux ; Lars est l’enthousiaste, indépendant et influençable. Le film a plusieurs fois recours aux gros plans sur les expressions du visage des personnages et les émotions qui les traversent. Ces portraits riches et variés nous permettent de considérer leurs déficiences comme de simples attributs et non pas comme unique caractéristique définitoire.
Un autre thème important dans le film est le contact entre les personnages déficients et leur chauffeuse/soignante, Claude, personnage non déficiente. Le personnage de Claude, dont on apprend qu’elle est en liberté conditionnelle, évolue au fil du récit : sèche et brusque au début, elle va se radoucir et en venir à apprécier les trois garçons. Ayant eu un passé difficile, ceux-ci lui font d’ailleurs remarquer « ton ex, c’était ton handicap », banalisant ainsi la déficience pour en faire un obstacle comme un autre. Claude s’occupe des garçons, s’assure que leurs besoins individuels sont pris en compte et organise un itinéraire divertissant qui inclut une sortie en boite, une dégustation de vins, et du camping. Ces activités aident le public à percevoir les personnages dans un contexte dans lequel ils ne sont pas perçus comme simples objects de soins. Claude s’assure que chaque aspect du voyage est adapté, sur un plan logistique et pratique. Bien qu’il s’agisse de la première aventure de ces garçons sans la présence de leurs parents, le personnage de Claude sert à mettre en avant les besoins complexes et uniques des trois personnages déficients. Le film souligne ainsi l’importance du travail de soignant. Le bus est muni d’un télésiège motorisé pour les chaises de Lars et de Philippe, et nous voyons Claude utiliser ces appareils avec dextérité.
Hasta la vista aborde un thème tabou, à savoir la sexualité des personnes déficientes et les relations sexuelles entre des personnes déficientes et des personnes valides. Même si l’acte sexuel n’est pas représenté explicitement, plusieurs scènes de "flirt" et de sexe nous permettent d’accompagner les trois amis dans leur voyage intime. Pour eux, avoir une relation sexuelle devient leur motivation principale, qui les amènera à mentir et à partir en cachette. Pour Lars, dont les jours sont comptés, l’annonce de son diagnostic ne fait que renforcer sa motivation : sa priorité est de ne pas mourir vierge, plutôt que de se reposer et de recevoir des soins à la maison où à l’hôpital comme ses parents le souhaiteraient. La relation entre Claude et Jozef est particulièrement mise en avant dans le film, lorsque Josef se rend compte qu’il est amoureux d’elle. Jozef semble aussi plaire à Claude, et le fait qu’il soit aveugle n’est jamais mentionné comme un "inconvénient" ou une "barrière" dans leur relation. Le film dépeint donc cette histoire d’amour sans caractériser la cécité de Jozef comme un signe de manque. Il met surtout en parallèle le caractère romantique de Jozef, qui complimente Claude au début du film, avec celui asocial et plutôt brusque de Claude. Jozef apporte autant à Claude (la joie, la compagnie, l’humour, etc.) qu’elle lui apporte en tant que chauffeuse, soignante, puis compagne.
Dans une scène importante, lors de la dégustation de vins dans un vignoble, les garçons se comportent mal, ayant des propos inappropriés sur la femme d’un autre client. Le mari devient agressif avec les garçons et prend Lars par le cou. Claude apparaît alors avec une matraque, menaçant l’homme, qui finit par quitter les lieux. Claude n’excuse cependant pas le comportement provocateur des garçons et les réprimande. Le film adopte ici une position morale selon laquelle le comportement des personnes déficientes doit être jugé de la même manière que celui des personnes non déficientes. Cela fait partie, selon nous, d’une volonté de normalisation de la déficience à l'oeuvre dans le film.
Le film a également cela d’intéressant qu’il met en lumière des déficiences "extrêmes" plus tabous : Philippe est paralysé depuis le cou, et Lars est atteint d’une maladie dégénérative en phase terminale. Malgré cela, le film nous présente ces personnages dans un contexte divertissant, et met en lumière leurs forces et leurs faiblesses respectives : leur fraternité, leur immaturité, leur dextérité, et valorise avant tout l’interdépendance, que cela soit entre eux ou avec leur soignante. Aussi, chaque personnage est différent : Lars est trop influençable et parfois égoïste ; Philippe peut être trop exigeant et n’aime pas faire de compromis ; Jozef veut absolument maintenir la paix, ce qui le mène parfois à ne pas exprimer ses propres désirs. Ils ne sont donc pas entièrement perçus sous le prisme de leur déficiences respectives.
Le film dans son ensemble se focalise sur ce que chacun d’entre eux peut accomplir tout en représentant leurs limitations de manière réaliste. Il véhicule également une vision optimiste et encourageante de la déficience et d’une société ouverte à tous.